Voir le Nagual

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Voir Castaneda – Psychology Today (1972) – première partie:

En suivant don Juan à travers vos trois livres, j’ai parfois eu l’impression qu’il était la création de Carlos Castaneda. Il est presque trop bien pour être vrai – un vieux sage indien dont la connaissance de la nature humaine est supérieure à presque tout le monde.

L’idée que j’ai inventée une personne comme don Juan est inconcevable. Il n’est pas vraiment le genre de personnalité que ma tradition intellectuelle européenne m’aurait conduit à inventer. La vérité est bien plus étrange. Je n’étais moi-même pas préparé à faire les changements dans ma vie que mon association avec don Juan impliquait.

Comment et où avez-vous rencontré don Juan et êtes-vous devenu son apprenti ?

Je finissais ma maîtrise à UCLA et je prévoyais de faire mon doctorat en anthropologie. Je voulais devenir professeur et pensais devoir commencer de la façon appropriée en publiant un petit article sur les plantes médicinales. Je n’aurais pas pu me soucier moins de trouver un zigoto comme don Juan. J’étais dans une station de bus en Arizona avec un ami universitaire. Il indiqua un vieil homme indien et dit qu’il connaissait beaucoup de choses sur les plantes médicinales et le peyotl. J’ai pris mes grands airs et me suis présenté à don Juan en disant : « Je sais que vous en savez beaucoup à propos du peyotl. Je suis un expert en peyotl (j’avais lu « Le Culte du Peyotl » de Weston La Barre) et ça pourrait être intéressant pour vous que nous déjeunions et discutions ensemble. » Eh bien, il m’a juste regardé et ma bravoure a flanché. Je suis resté complètement engourdi et sans voix. D’habitude j’étais très agressif et verbal, alors ce fut pour moi quelque chose d’extraordinaire d’être réduit au silence par un simple regard. Après cela, j’ai commencé à lui rendre visite et environ un an plus tard, il m’a dit qu’il avait décidé de me transmettre sa connaissance de la sorcellerie qu’il avait lui-même reçue de son maître.

Alors don Juan n’est pas un phénomène isolé. Y a-t-il une communauté de sorciers qui partage une connaissance secrète ?

Certainement. Je connais trois sorciers et sept apprentis, et ils sont beaucoup plus. Si vous lisez l’histoire de la Conquête espagnole du Mexique, vous verrez que les inquisiteurs catholiques ont essayé de supprimer la sorcellerie parce qu’ils considéraient qu’elle était l’œuvre du diable. Elle existait depuis des centaines d’années. La plupart des techniques que don Juan m’a enseignées sont très anciennes.

Certaines des techniques utilisées par les sorciers sont largement utilisées par d’autres groupes occultes. Des personnes utilisent souvent les rêves pour trouver des objets perdus, et ils font des voyages hors du corps durant leur sommeil. Mais lorsque vous racontez comment don Juan et son ami don Genaro font disparaître votre voiture en plein jour, je reste perplexe. Je sais qu’un hypnotiseur peut créer l’illusion de la présence ou de l’absence d’un objet. Pensez-vous avoir été hypnotisé ?

Peut-être, quelque chose comme ça. Mais, comme le dit don Juan, nous devons commencer par réaliser que le monde est beaucoup plus que ce qu’on veut bien reconnaître habituellement. Nos attentes normales à propos de la réalité sont créées par un consensus social. On nous enseigne comment voir et comprendre le monde. Le piège de la socialisation est de nous convaincre que la description à laquelle nous acquiesçons définit les limites du monde réel. Ce que nous appelons réalité est seulement une façon de voir le monde, une façon qui est supportée par un consensus social

Alors un sorcier, comme un hypnotiseur, crée un monde alternatif en construisant différentes attentes et en manipulant certains phénomènes pour produire un consensus social.

Exactement. J’en suis venu à comprendre la sorcellerie en termes de l’idée de gloses de Talcott Parson. Une glose est un système total de perception et de langage. Par exemple, cette pièce est une glose. Nous avons arrangé ensemble une série de perceptions isolées- le sol, le plafond, la fenêtre, les lumières, les tapis, etc. – pour fabriquer une totalité. Mais on doit nous apprendre à assembler le monde de cette façon. Un enfant reconnaît le monde avec quelques préconceptions jusqu’à ce qu’on lui apprenne à voir les choses d’une manière qui correspond aux descriptions auxquelles tout le monde acquiesce. Le monde est un accord. Le système de gloses semble être un peu comme marcher. Nous devons apprendre à marcher, mais une fois que nous avons appris, nous sommes sujets à la syntaxe du langage et au mode de perception qu’elle contient.

Donc la sorcellerie, comme l’art, enseigne un nouveau système de gloses. Quand, par exemple, Van Gogh s’est détaché de la tradition  artistique et a peint « La Nuit Etoilée », en fait il disait : voici une nouvelle façon de regarder les choses. Les étoiles sont vivantes et elles tournoient dans leur champ énergétique.

En partie. Mais il y a une différence. Habituellement, un artiste réarrange simplement les vieilles gloses qui sont propres à son appartenance sociale. L’appartenance consiste à être un expert quant aux insinuations significatives contenues au sein d’une culture. Par exemple, ma première appartenance, comme bon nombre d’hommes occidentaux éduqués, fut celle au monde intellectuel européen. Vous ne pouvez pas vous défaire de votre appartenance sans être introduit dans une autre. Vous pouvez seulement réarranger les gloses.

Est-ce que don Juan vous a resocialisé ou vous a désocialisé ? Vous a-t-il enseigné un nouveau système de significations ou seulement une méthode pour démembrer votre ancien système afin que vous puissiez voir le monde comme un enfant émerveillé ?

Don Juan et moi ne sommes pas d’accord à ce sujet. Je dis qu’il m’a fournit de nouvelles gloses et il dit qu’il m’a retiré mes gloses. En m’enseignant la sorcellerie, il m’a donné un nouvel ensemble de gloses, un nouveau langage et une nouvelle façon de voir le monde. Une fois, j’ai lu un peu de la linguistique philosophique de Ludwig Wittgenstein à don Juan, il a rie et a dit : « Ton ami Wittgenstein a trop serré la corde autour de son cou, et il ne peut plus aller nulle part. »

Wittgenstein est un des rares philosophes qui auraient compris don Juan. Sa notion qu’il existe beaucoup de jeux différents de langage – la science, la politique, la poésie, la religion, la métaphysique, chacun avec sa propre syntaxe et ses règles – lui aurait permis de comprendre la sorcellerie comme un système alternatif de perception et de signification.

Mais don Juan pense que ce qu’il appelle voir, c’est appréhender le monde sans aucune interprétation ; c’est une pure perception émerveillée. La sorcellerie est un moyen d’arriver à cette fin. Pour briser la certitude que le monde est ce qu’on vous a toujours enseigné, vous devez apprendre une nouvelle description du monde – la sorcellerie – et puis, maintenir ensemble l’ancienne et la nouvelle description. Alors vous verrez qu’aucune description n’est définitive. A ce moment, vous glissez entre les descriptions ; vous arrêtez le monde et vous voyez. Vous êtes dans l’émerveillement ; la véritable merveille de voir le monde sans interprétation.

Pensez-vous qu’il soit  possible d’aller au-delà de l’interprétation en utilisant des drogues psychédéliques ?

Je ne crois pas. C’est la querelle que j’ai avec Timothy Leary. Je pense qu’il a improvisé depuis son appartenance européenne et a simplement réarrangé les anciennes gloses. Je n’ai jamais pris de LSD, mais ce que j’ai rassemblé des enseignements de don Juan est que les psychotropes sont utilisés pour stopper le flux ordinaire des interprétations, pour mettre en valeur les contradictions entre les gloses, et pour briser les certitudes. Mais les drogues seules ne permettent pas de stopper le monde. Pour faire cela, vous avez besoin d’une description alternative du monde. C’est pourquoi don Juan devait m’enseigner la sorcellerie.

Il y a une réalité ordinaire que nous occidentaux sommes certain qu’elle est « la seule », et puis il y a la réalité à part du sorcier. Quelles sont les différences essentielles entre les deux ?

Dans l’appartenance européenne, le monde est construit dans une large mesure selon ce que les yeux rapportent à l’esprit. Dans la sorcellerie, le corps entier est utilisé comme outil perceptuel. En tant qu’Européens, nous voyons un monde extérieur et nous nous parlons à nous-même à son propos. Nous sommes ici et le monde est là. Nos yeux nourrissent notre raison et nous n’avons pas de connaissance directe des choses. D’après la sorcellerie, ce fardeau sur les yeux n’est pas nécessaire. Nous connaissons avec la totalité du corps.

L’homme occidental démarre avec l’hypothèse que le sujet et l’objet sont séparés. Nous sommes isolés du monde et devons traverser une espèce de porte pour l’atteindre. Pour don Juan et la tradition de sorcellerie, le corps est déjà dans le monde. Nous sommes unis au monde, pas aliénés à celui-ci.

Tout à fait. La sorcellerie a une théorie différente de l’incarnation. Le problème dans la sorcellerie est d’accorder et de régler votre corps pour en faire un bon outil de perception. Les Européens traitent leurs corps comme s’ils étaient des objets. Nous les remplissons d’alcool, de mauvaise nourriture, et d’anxiété. Lorsque quelque chose ne va pas, nous pensons que des microbes ont envahi notre corps depuis l’extérieur et nous y incorporons des médicaments pour le soigner. La maladie ne fait pas partie de nous. Don Juan ne croit pas cela. Pour lui, la maladie est une dissonance entre l’homme et son monde. Le corps est une conscience et il doit être traité impeccablement.

Cela semble similaire à l’idée qu’a Norman O.Brown sur le fait que les enfants, les schizophrènes, et ceux qui ont la maladie divine de la conscience dionysiaque sont conscients des choses et des autres personnes comme des extensions de leur corps. Don Juan suggère quelque chose de ce genre quand il dit que l’homme de connaissance a des fibres de lumière qui connecte son plexus solaire au monde.

Ma conversation avec le coyote est une bonne illustration des différentes théories de l’incarnation. Lorsqu’il s’est approché de moi, je lui ai dit : « Salut, petit coyote. Comment vas-tu ? » Et il m’a répondu : « Je vais bien. Et toi ? » Bon, je n’ai pas entendu les mots de façon normale. Mais mon corps savait que le coyote était en train de dire quelque chose, et je l’ai traduit en dialogue. En tant qu’intellectuel, ma relation au dialogue est si profonde que mon corps a automatiquement traduit en mots le sentiment que l’animal était en train de communiquer avec moi. Nous voyons toujours l’inconnu selon les termes du connu.

Quand vous êtes dans ce mode magique de conscience, dans lequel les coyotes parlent et où tout est approprié et lumineux, on dirait que le monde entier est vivant et que les êtres humains vivent dans une communion qui inclut les animaux et les plantes. Si nous laissons tomber nos hypothèses  arrogantes disant que nous sommes les seules formes de vie douées de compréhension et capables de communiquer, nous pourrions trouver toutes sortes de choses qui nous parlent. John Lilly parlait aux dauphins. Peut-être pourrions-nous nous sentir moins aliénés si nous pouvions croire que nous ne sommes pas la seule vie intelligente.

Nous serions capables de parler à n’importe quel animal. Pour don Juan et les autres sorciers, il n’y avait rien d’inhabituel à propos de ma conversation avec le coyote. En fait, ils disent que j’aurais dû avoir un animal plus fiable comme ami. Les coyotes sont des tricheurs et on ne peut pas leur faire confiance.

Quels animaux font de meilleurs amis ?

Les serpents font des amis formidables.

Une fois, j’ai eu une conversation avec un serpent. Une nuit, j’ai rêvé qu’il y avait un serpent dans le grenier de la maison où je vivais quand j’étais petit. J’ai pris un bâton et j’ai essayé de le tuer. Le lendemain matin, j’ai raconté le rêve à une amie et elle m’a rappelé qu’il n’était pas bon de tuer les serpents, même s’ils étaient dans un grenier dans un rêve. Elle m’a suggéré de nourrir le serpent ou de faire quelque chose d’amical la prochaine qu’il réapparaîtrait dans un rêve. Une heure plus tard, je conduisais mon scooter sur une route peu utilisée, et il était là, à m’attendre – un serpent de 5 mètres de long, complètement étiré, en train de prendre le soleil. J’ai roulé à côté et il n’a pas bougé. Après que nous nous soyons regardé l’un l’autre un moment, j’ai décidé de faire un geste pour lui faire savoir que je me repentais d’avoir tué son frère dans mon rêve.Je me suis approché  et lui ai touché la queue. Il s’est enroulé et m’a indiqué par là que j’avais bâclé notre liaison. Alors j’ai reculé et l’ai simplement regardé. Après environ cinq minutes il s’en est allé dans les buissons.

Vous ne l’avez pas ramassez ?

Non.

C’était un très bon ami. Un homme peut apprendre à appeler les serpents. Mais vous devez être en très bonne forme, serein, calme – dans une humeur amicale, sans doutes ou affaires en cours.

Mon serpent m’a enseigné que j’avais toujours eu des sentiments  paranoïaques à propos de la nature. Je considérais que les animaux et les serpents étaient dangereux. Après cette rencontre, je n’aurais jamais pu tuer un autre serpent, et il devint de plus en plus vraisemblable que nous pourrions vivre dans un genre de connexion vivante. Notre écosystème pourrait bien inclure la communication entre les différentes formes de vie.

Don Juan a une théorie très intéressante à ce propos. Les plantes, comme les animaux, vous affectent sans arrêt. Il dit que si vous ne vous excusez pas auprès des plantes de les avoir cueillies, vous avez des chances de tomber malade ou d’avoir un accident.

Les Indiens d’Amérique ont des croyances similaires à propos des animaux qu’ils tuent. Si vous ne remerciez pas l’animal d’avoir donné sa vie afin que vous puissiez vivre, son esprit peut vous causer des problèmes.

Nous avons beaucoup de choses en commun avec toutes les formes de vie. Quelque chose est altéré chaque fois que nous blessons la vie d’une plante ou d’un animal. Nous prenons la vie afin de vivre mais nous devons être prêt à abandonner notre vie sans rancœur lorsque notre temps viendra. Nous sommes si importants et nous nous prenons tellement au sérieux que nous oublions que le monde est un grand mystère qui nous enseignera des quantités de choses si nous écoutons.

Peut-être que les drogues psychotropes occultent momentanément l’ego isolé et permettent une fusion mystique avec la nature. La plupart des cultures qui ont maintenu un sens de la communion entre l’homme et la nature ont aussi fait une utilisation cérémoniale des drogues psychédéliques. Vous aviez pris du peyotl quand vous avez parlé avec le coyote ?

Non. Rien du tout.

Est-ce que cette expérience était plus intense que les expériences similaires que vous avez eues quand don Juan vous a donné des plantes psychotropes ?

Beaucoup plus intense. A chaque fois que j’ai pris des plantes psychotropes, je savais que j’avais pris quelque chose et je pouvais toujours remettre en question la validité de mon expérience. Mais quand le coyote m’a parlé, je n’avais aucune défense. Je ne pouvais pas me l’expliquer. J’avais vraiment stoppé le monde et, pendant un court instant, j’étais complètement hors de mon système européen de gloses.

Pensez-vous que don Juan vit dans cet état de conscience la plupart du temps ?

Oui. Il vit dans un temps magique et pénètre parfois le temps ordinaire. Je vis dans un temps ordinaire et occasionnellement je plonge dans un temps magique.

Quiconque voyage aussi loin des chemins battus du consensus doit être très seul.

Je le pense aussi. Don Juan vit dans un monde fabuleux et il a laissé la routine des gens derrière lui. Une fois, quand j’étais avec don Juan et son ami don Genaro, j’ai vu la solitude qu’ils partageaient et leur tristesse d’avoir laissé derrière eux les pièges et les points de référence de la société ordinaire. Je pense que don Juan a transformé sa solitude en art. Il contient et contrôle son pouvoir, la merveille et la solitude, et les transforme en art.

Son art est la voie métaphorique dans laquelle il vit. C’est pourquoi ses enseignements ont une telle unité et une telle saveur dramatique. Il construit délibérément sa vie et sa façon d’enseigner.

Par exemple, quand don Juan vous a emmené dans les collines pour chasser des animaux, mettait-il consciemment en scène une allégorie ?

Oui. Il n’avait aucun intérêt à chasser pour le sport ou pour trouver de la viande. Au cours des dix années où je l’ai côtoyé, don Juan n’a tué à ma connaissance que quatre animaux, et seulement lorsqu’il voyait que leur vie était un cadeau pour lui, de la même façon que sa mort sera un jour un cadeau pour quelque chose. Une fois, nous avons attrapé un lapin dans un piège que nous avions posé, et don Juan pensait que je devais le tuer parce que son temps était arrivé. J’étais désespéré car j’avais la sensation d’être le lapin. J’ai essayé de le libérer mais je ne pouvais pas ouvrir le piège. Alors j’ai marché sur le piège et j’ai accidentellement cassé le coup du lapin. Don Juan avait essayé de m’apprendre que je devais assumer la responsabilité d’être dans ce monde merveilleux. Il se pencha vers moi et me murmura à l’oreille : « Je t’ai dit que ce lapin n’avait plus le temps d’errer dans ce magnifique désert. » Il a consciencieusement placé la métaphore pour m’enseigner quelque chose à propos du chemin du guerrier. Le guerrier est un homme qui chasse et qui accumule du pouvoir personnel. Pour faire cela, il doit développer sa patience et sa volonté, et se déplacer délibérément dans le monde. Don Juan utilisait la situation dramatique de la chasse pour me donner un enseignement car il s’adressait à mon corps.

Dans votre plus récent livre, « Voyage à Ixtlan », vous renversez l’impression donnée dans vos premiers livres que l’utilisation des plantes psychotropes était la méthode principale prévue par don Juan pour vous enseigner la sorcellerie. Comment comprenez-vous maintenant la place des psychotropes dans ses enseignements ?

Don Juan a utilisé des plantes psychotropes seulement vers le milieu de la période de mon apprentissage parce que j’étais vraiment stupide, sophistiqué et impudent. Je m’accrochais à ma description du monde comme si c’était la seule vérité. Les psychotropes ont créé une porte dans mon système de gloses. Ils ont détruit mes certitudes dogmatiques. Mais j’ai dû en payer le prix. Lorsque la colle qui maintenait mon monde fut dissoute, mon corps était faible et cela m’a demandé des mois pour récupérer. J’étais anxieux et fonctionnais à un niveau très bas.

Par Sam Keen

Publication : Décembre 1972

Copyright Psychology Today

 

Carlos Castaneda, le souffle du Nagual

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Sorcier blanc autoproclamé, Carlos Castaneda est né le jour de Noël 1925 au Brésil. Immigré aux Etats-Unis en 1951, il a suivi des études d’anthropologie à l’UCLA (Université de Los Angeles, Californie) avant de devenir très célèbre en 1968 avec la publication de son mémoire de maîtrise, consacré à un séjour mystique dans le désert de l’Arizona et du Mexique.

Le livre, intitulé L’herbe du diable et la petite fumée (The Teachings of Don Juan: A Yaqui Way of Knowledge) raconte sa rencontre avec un shaman, un vieux sorcier indien Yaqui mexicain, Juan Matus, qui l’a initié à un monde occulte ancien de plus de 2.000 ans grâce à de puissantes drogues hallucinogènes (peyotl, marijuana, champignons, etc.).

De phases d’extase en moments de panique mêlés, Carlos Castaneda décrit ses visions d’insectes géants ou sa transformation en corbeau et divers autres « états de la réalité non-ordinaire » dont il affirme qu’ils lui permettaient de parvenir à un état de suprême sagesse et de savoir.
L’herbe du diable et la petite fumée, mélange subtil d’anthropologie, de parapsychologie, d’ethnographie, de bouddhisme et sans doute aussi de fiction, tombe à pic pour la génération psychédélique des années ’60 et devient un best-seller dans le monde entier.

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En 1973, l’hebdomadaire Time choisit ce « Latino-américain costaud, affable et bourré de vitamines », aux « cheveux noirs, ondulés, coupés courts » et aux yeux brûlant « d’une vivacité humide », pour illustrer la renaissance spirituelle américaine. L’image de couverture du magazine est une gouache représentant Carlos Castaneda devant un corbeau aux ailes déployées, sur fond de désert, un pied de peyotl à la place de l’oeil droit.
Discrédité auprès des universitaires — le vieux shaman indien n’ayant jamais été retrouvé, ses pairs anthropologues accusent Carlos Castaneda de l’avoir inventé — l’écrivain mystique poursuit néanmoins son aventure initiatique.

Il publie de nombreux livres à succès, dont notamment Voyage à Ixtlan, Histoires de pouvoir et La force du silence.

Auteur au total de dix livres traduits dans le monde entier, il influence toute une génération et est aujourd’hui considéré comme l’un des pères du New Age.

En 1995, lors d’un séminaire, Carlos Castaneda a démenti avoir inventé le récit de L’herbe du diable mais a cependant fait marche arrière sur le recours aux drogues pour ses expériences mystérieuses, reconnaissant que son « hypothèse sur le rôle des plantes psychotropes était erronnée ».

Parmi bien d’autres écrivains du dernier quart du XXe siècle, Joyce Carol Oates a estimé que l’oeuvre de Carlos Castaneda a marqué un véritable tournant dans la littérature. « Ses livres me semblent être de remarquables oeuvres d’art, sur le thème à la Herman Hesse de l’initiation d’un jeune homme à un autre mode de la réalité. Ils sont très bien construits. Les dialogues sont parfaits. Le personnage de Don Juan est inoubliable ».
Carlos Castaneda était très discret de son vivant. Il évitait soigneusement photos et interviews et entretenait le plus grand flou sur les détails de sa vie. Il s’est éteint comme il avait vécu, dans le calme, le secret et le mystère, le 27 avril 1998, à son domicile de Westwood (Californie), des suites d’un cancer du foie. Sa mort n’a été annoncée officiellement que deux mois plus tard par l’avocat chargé de son exécution testamentaire. Conformément à ses dernières volontés, son corps avait été incinéré et ses cendres dispersées au-dessus du désert mexicain.

« La mort est le plus grand des plaisirs, aimait à dire Carlos Castaneda, c’est pour ça qu’on la garde pour la fin« .

Source: La République Des Lettre

 
 
 
 
L’art du guerrier consiste à équilibrer la terreur d’être un homme avec la merveille d’être un homme. (La Roue du temps).
 
 
 
 
 
Voici un premier article pour (re) découvrir une personnalité très controversée mais dont l’œuvre reste un témoignage majeur de la tradition Toltèque.
 
à suivre…
Claude Sarfati

Don Genaro

pensee

Nous marchons sur un sentier en forêt pendant un long moment, puis traversons un petit rapide par un pont en bois presque délabré. Après la rivière, il y a une forêt de pin – un endroit préféré de Juan et de Genaro. Ici don Juan nous a enseigné à porter Son chapeau.

Après avoir marché plusieurs dizaines de mètres, nous entrons dans un espace qui est rempli de rire pétillant de joie – c’est Juan et Genaro rassemblés qui nous saluent.

… Qu’est-ce que le rire des Enseignants Divins? Ce sont de douces vagues de Lumière scintillante et dorée qui s’élèvent des Profondeurs universelles et se diffusent comme des cercles sur l’eau. Ils entrent en vous et remplissent votre conscience et votre corps de Leur joie et bonheur!

C’est la façon qu’Ils rient.

« Voyez-vous comment cela est facile quand on est joyeux qu’on ne perd pas le cœur?! » dit Genaro plaisantant. « Et les rires Divins font que l’homme soit aussi aimable! Une fois que vous fusionnez avec Moi et que vous vous dissolvez en Moi – il n’y a plus de vous, il y a seulement Mon rire, il y a seulement Moi!

« Vous M’aimez – et fusionnez avec Moi. Mais Je vous aime également – et fusionne également avec vous! La fusion peut être seulement mutuelle et volontaire. Toute déviation de cette règle est violence!

« Afin de réaliser la plénitude absolue de la Fusion, vous devez devenir semblables à Moi…

« C’est très difficile de nettoyer et d’éclairer l’esprit. Afin de devenir semblable à Moi, on doit commencer par jeter hors de la tête tous les vieux stéréotypes habituels, qu’il est facile d’employer – les stéréotypes de la pensée et du comportement. Un guerrier spirituel doit rendre son esprit disponible à recevoir le nouveau.

On a besoin également de courage, de puissance, et de connaissance.

« Vous commencez à vivre vraiment seulement quand vous cessez d’interagir avec le monde extérieur à travers vos masques et stéréotypes. Ils vous sont offerts par votre esprit – le créateur de votre individualité inférieure…

« On doit apprendre à percevoir le monde extérieur avec la conscience nue, nettoyée des traces de l’individualité inférieure – d’accepter le monde comme il est en réalité et pas dans le mental!

« … Il y a un truc de conscience qui vous donne la clef de la Liberté! C’est la capacité d’être conscient de soi pas comme un corps. Cette capacité nous amène à être libres du corps – de ce récipient matériel dense de l’âme.

« D’abord, l’homme doit savoir que lui et son corps ne sont pas la même chose. Acquérir l’expérience pratique de cela signifie premièrement la rencontre avec le monde du nagual.

« Pour beaucoup de gens, cependant, cette étape devient la dernière: on a besoin de courage afin de choisir d’aller plus loin sur le Chemin de la Liberté et de la Connaissance, de l’Amour et de la Puissance! Il n’y a aucune place pour la vaine curiosité sur ce Chemin. Les lâches et les excités, les fainéants et les égoïstes ne peuvent pas supporter la Liberté: la Liberté les détruit, les élimine, les déchire! Elle est comme un moteur de fusée, qui ne devrait pas être fixé à la bicyclette d’un enfant.

« La Liberté établit son état que don Juan a appelé impeccabilité du guerrier. Chaque étape non impeccable sur ce Chemin peut devenir un échec complet; on doit maintenir cela à l’esprit.

« On doit connaître un point important: à une certaine étape, un guerrier spirituel ne peut pas retourner à la vie ordinaire. Il peut seulement vivre en tant que guerrier. À partir de ce moment, il n’y a plus aucun chemin de retour pour lui; il peut seulement aller de l’avant!

« Mais l’absence du corps est seulement un fragment; c’est seulement une partie de la Liberté de l’Esprit.

« … La liberté du corps ne peut pas être réalisée tout d’un coup.

« Il y a des méthodes – et vous en connaissez bons nombres d’entre elles – afin de déplacer la conscience à l’intérieur du corps et puis en dehors de lui…

« On doit devenir absolument libre du corps physique! Cette liberté ne peut pas être enlevée en prison; elle ne disparaît pas quand la mort vient…

« La Liberté est la possibilité de vous déplacer – selon votre volonté – dans le monde que vous choisissez. C’est également la liberté de rester là, si vous le voulez!

« Laissez le monde que vous choisissez ‘s’assembler complètement’! Laissez Le Primordial devenir plus vrai que le monde des corps matériels! Comme vous avez dû maîtriser les strates de l’Absolu, pour y apprendre à assembler le monde entier de cette ère particulière – de la même manière cette strate profonde de l’Existence universelle – l’Existence du Créateur! – doit devenir pas simplement une réalité que vous connaissez, mais une réalité dans laquelle vous devez apprendre à vivre!

« Le plus loin du corps, vous vous déplacez – le plus facile il est pour vous d’agir.

« Et puis – là – vous devez vous développer!

« Vous devez devenir si grands dans la Demeure du Créateur que vous ne pouvez plus être contenus dans le corps et dans les autres strates de l’absolu!

« En guise d’exemple, vous ne pouvez pas maintenant mettre sur vous un costume de bébé que vous avez porté dans votre enfance. Même si vous essayez – vous ne pouvez pas faire cela! La même chose se produit si vous vous êtes accru là et habitué à la vie dans la Conscience Primordiale! Vient un temps où la vieille perception du monde ne vous va plus, même si vous essayez ardemment de la remettre!

« Et alors ce que vous devez faire: est juste de traiter les énergies du corps physique… Le corps doit devenir complètement identique – par la qualité des énergies – au monde où vous voulez aller. Ceci vous permet de disparaître complètement de ce monde et de vous ‘assembler’ complètement dans l’autre!

« Un parfait Nagual a la liberté de se déplacer dans n’importe quel monde qu’il choisit. C’est l’omniprésence, la liberté d’être où vous voulez. C’est la liberté d’être Tout et de déplacer la concentration de Soi à l’intérieur de Soi – Universel, Illimité! Pour cela, le centre de Soi doit demeurer dans la Maison: dans la Maison du Primordiale. On ne devrait jamais oublier cette règle! »

« Genaro, que pouvez-vous conseiller à nos lecteurs au sujet de la façon de se débarrasser du sentiment de suffisance? Dites-nous s.v.p. comment cela c’est produit dans votre cas? »

« Le sentiment de la suffisance disparaît quand la mort mystique se produit: quand vous mourez complètement aux choses de ce monde. Comment cela peut-il ce produire? Seulement par le contrôle de soi, contrôle incessant de ses propres indriyas (sens). C’est les indriyas qui lient l’homme aux choses du monde.

« La disparition du sentiment de la suffisance mène à la perte de la forme humaine.

« Cependant, il devrait être noté que le sentiment de suffisance a des aspects positifs.

« Au commencement du chemin de la vie, ce sentiment est nécessaire; on ne peut pas se développer sans lui!

« C’est grâce à l’ambition que les gens essaient de devenir meilleurs, plus intelligents, plus forts. Et c’est par désir d’être aimé et respecté qu’ils se perfectionnent. C’est le premier point positif.

« Le deuxième point est que vous ne pouvez pas former une personne qui est exempte du sentiment de la suffisance. L’absence de ce sentiment donne à une personne une invulnérabilité psychologique. Comment pouvez-vous guider, corriger une telle personne s’il n’y a rien en elle à ‘pousser’, à ‘attaquer’, à ‘stimuler’? »

« Genaro, pourriez-Vous partager avec nous votre propre expérience? »

« J’avais toujours un ‘bon’ tempérament; d’autres ont un ‘mauvais’ tempérament. Mais le sentiment de suffisance est présent pratiquement dans chacun de nous; c’est seulement ses manifestations extérieures qui prennent différentes formes.

« Une fois Mon Enseignant Me dit que Je serais un puissant sorcier quand Je Me départirais du sentiment de suffisance. Je L’ai cru et ai conçu un plan afin de duper cette qualité en Moi et devenir libre de son contrôle. J’ai essayé – et ne lui ai pas permis d’agir. En particulier, J’ai conçu la tactique suivante: ne pas démontrer Mes succès et ne pas devenir découragé au sujet des échecs.

« Par exemple, quand Je réussissais quelque chose et étais sur le point de Me gonfler par la fierté, Je devais regarder la situation d’une telle distance que rien ne pouvait être vu.

« En d’autres termes, quand La Puissance ‘tombait’ sur Moi créant certaines situations et que J’étais sur le point de Me gonfler avec de la fierté ou de la colère, Je devais me déplacer immédiatement en dehors du cocon à l’extérieur de Moi et Me fusionner avec La Puissance Me tombant dessus.

« Mais ne penser pas que de se débarrasser du sentiment de la suffisance est le point culminant de la perfection. Non: c’est seulement le commencement de la prochaine partie du Chemin… »

Propos receuillis de Don Genaro.

Amitiés

Claude Sarfati

Naviguer dans l’inconnu 3

 

 

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Vous affirmez que la caractéristique basique des êtres humains est d’être des « perceveurs d’énergie ». Vous vous référez au mouvement du point d’assemblage comme à quelque chose d’impératif pour percevoir directement l’énergie. Comment cela peut-il être utile pour un homme du 21ème siècle ? D’après le concept précédemment défini, comment l’accomplissement de ce but peut-il aider à l’amélioration spirituelle ?

Les chamans comme don Juan affirment que tous les êtres humains ont la capacité de voir l’énergie directement telle qu’elle s’écoule dans l’univers. Ils croient que le point d’assemblage, comme ils l’appellent, est un point qui existe dans la sphère totale d’énergie de l’homme. En d’autres mots, quand un chaman perçoit un homme comme de l’énergie qui s’écoule dans l’univers, il voit une boule lumineuse. Dans cette boule lumineuse, le chaman peut voir un point d’une brillance plus intense, situé à la hauteur des omoplates, approximativement à un bras de distance derrière celles-ci. Les chamans maintiennent que la perception est assemblée à cet endroit ; que l’énergie qui coule dans l’univers y est transformée en données sensorielles, et que ces données sensorielles sont ensuite interprétées, donnant comme résultat le monde de tous les jours.

Les chamans affirment qu’on nous enseigne à interpréter, et donc on nous apprend à percevoir. La valeur pragmatique de percevoir l’énergie directement telle qu’elle s’écoule dans l’univers pour un homme du 21ème siècle, ou un homme du 1er siècle est la même. Cela lui permet d’élargir les limites de sa perception et d’utiliser cet élargissement à l’intérieur de son royaume. Don Juan disait que voir directement la merveille de l’ordre et du chaos de l’univers serait quelque chose d’extraordinaire.

Vous avez récemment présenté une discipline physique appelée Tenségrité. Pouvez-vous expliquer ce que c’est exactement ? Quel est son but ? Quel bénéfice spirituel peut obtenir une personne qui pratique individuellement ?

D’après ce que don Juan Matus nous a enseigné, les chamans qui vivaient dans l’ancien Mexique ont découvert une série de mouvements qui, lorsqu’ils sont exécutés par le corps, apportent de telles habiletés mentales et physiques qu’ils ont décidé d’appeler ces mouvements des passes magiques. Don Juan nous a dit qu’à travers leurs passes magiques, ces chamans avaient atteint un niveau accru de conscience qui leur permettait de réaliser d’incroyables exploits de perception. Au travers des générations, les passes magiques ne furent enseignées qu’aux praticiens du chamanisme. Les mouvements furent entourés d’un immense secret et de rituels complexes. C’est de cette façon que don Juan les a apprises, et c’est de cette façon qu’il les a enseignées à ses quatre disciples.

Notre effort a été d’étendre les enseignements de ces passes magiques à quiconque voudrait les apprendre. Nous les avons appelé Tenségrité, et nous avons transformés des mouvements pertinents à chacun des quatre disciples de don Juan en des mouvements généraux appropriés à tout le monde. Pratiquer la Tenségrité, individuellement ou en groupe, promeut la santé, la vitalité, la jeunesse et un sens général de bien-être. Don Juan disait que pratiquer les passes magiques aide à accumuler l’énergie nécessaire pour accroître la conscience et pour élargir les paramètres de la perception.

En dehors de vos trois cohortes, les gens qui assistent à vos séminaires ont rencontré d’autres personnes, comme les Chacmools, les Pisteuses d’Energie, l’Eclaireur Bleu…Qui sont-elles ? Font-elles partie d’une nouvelle génération de voyants guidée par vous ? Si c’est le cas, comment peut-on faire partie de votre groupe d’apprentis ?

Chacune de ces personnes est un être bien précis que don Juan, en tant que directeur de cette lignée, nous a demandé d’attendre. Il a prédit l’arrivée de chacun d’entre eux comme faisant partie intégrante d’une vision. Puisque la lignée de don Juan ne peut pas continuer, due à la configuration énergétique de ses quatre étudiants, leur mission de perpétuer la lignée a été transformée en fermer celle-ci, et si possible avec une fermeture en or. Nous ne sommes pas en mesure de changer de telles instructions. Nous ne pouvons pas non plus chercher ni accepter des apprentis ou des membres actifs de la vision de don Juan. La seule chose que nous pouvons faire est d’acquiescer aux desseins de l’Intention. Le fait que les passes magiques, gardées si jalousement durant de nombreuses générations, soient enseignées aujourd’hui, est la preuve que l’on peut, en effet, de façon indirecte, faire partie de cette nouvelle vision à travers la pratique de la Tenségrité et en suivant les prémisses du chemin du guerrier.

Dans « Les Lecteurs de l’Infini », vous avez utilisé le terme « naviguer » pour définir ce que font les sorciers. Êtes-vous sur le point de bientôt lever l’ancre pour débuter votre voyage définitif ? Est-ce que la lignée des guerriers toltèques, les gardiens de cette connaissance, va s’éteindre avec vous ?

Oui, c’est exact, la lignée de don Juan va finir avec nous.

Voici une question que je me suis souvent posée : Est-ce que le chemin du guerrier inclut, comme le font d’autres disciplines, un travail spirituel pour les couples ?

Le chemin du guerrier inclut tout et tout le monde. Cela peut être une famille entière de guerriers impeccables. La difficulté réside dans le terrible fait que les relations individuelles sont basées sur des investissements émotionnels, et dès le moment où le praticien pratique vraiment ce qu’il apprend, la relation s’effondre. Normalement, dans le monde de tous les jours, les investissements émotionnels ne sont pas examinés, et nous vivons notre vie entière en attendant qu’on nous rende la pareille. Don Juan disait que j’étais un investisseur intransigeant et que ma façon de vivre et de ressentir pouvait être décrite de manière simple : Je ne donne que ce que les autres me donnent.

Quelles aspirations d’avancement possible pourrait avoir quelqu’un qui désire travailler spirituellement, en accord avec la connaissance disséminée dans vos livres ? Que recommanderiez-vous à ceux qui désirent pratiquer eux-mêmes les enseignements de don Juan ?

Il n’y a aucun moyen de poser une limite sur ce qu’on pourrait accomplir individuellement si l’intention est une intention impeccable. Les enseignements de don Juan ne sont pas spirituels. Je répète cela parce que cette question revient encore et encore. L’idée de spiritualité ne colle pas avec la discipline de fer d’un guerrier. Le plus important pour un chaman comme don Juan est l’idée de pragmatisme. Quand je l’ai rencontré, je croyais être un homme pratique, un scientifique plein d’objectivité et de pragmatisme. Il a détruit mes prétentions et m’a fait voir qu’en tant que véritable homme occidental, je n’étais ni pragmatique ni spirituel. J’en suis venu à comprendre que je ne faisais que répéter le mot « spiritualité » pour le mettre en contraste avec l’aspect mercenaire du monde de tous les jours. Je voulais me sortir du mercantilisme de la vie de tous les jours et mon empressement à faire cela était ce que j’appelais spiritualité.

J’ai réalisé que don Juan avait raison quand il me demandait d’arriver à une conclusion ; définir ce que je considérais spirituel. Je ne savais pas de quoi je parlais. Ce que je dis peut paraître présomptueux, mais il n’y a pas moyen de le dire autrement. Ce que veut un chaman comme don Juan, c’est accroître sa conscience, c’est-à-dire, être capable de percevoir avec toutes les possibilités humaines de perception ; cela implique une tâche colossale et un objectif inflexible, qui ne peut pas être remplacé par la spiritualité du monde occidental.

Y a t-il quelque chose que vous aimeriez expliquer aux gens d’Amérique du sud, spécialement aux Chiliens ? Aimeriez-vous faire un autre commentaire en dehors de vos réponses à nos questions ?

Je n’ai rien d’autre à ajouter. Tous les êtres humains sont au même niveau. Au début de mon apprentissage avec don Juan Matus, il essayait de me faire voir comment est la situation de l’homme commun. En tant que Sud américain, je me sentais très impliqué, intellectuellement, dans l’idée de réforme sociale. Un jour, j’ai posé à don Juan ce que je pensais être une question cruciale : « Comment pouvez-vous rester indifférent face à l’horrible situation de vos frères humains, les indiens yaquis de Sonora ? » Je savais qu’un certain pourcentage de la population yaqui souffrait de tuberculose et que due à leur situation économique, ils ne pouvaient pas se faire soigner. « Oui, » a dit don Juan. « C’est une chose très triste mais, tu vois, ta situation est aussi très triste, et si tu crois que tu te trouves dans de meilleures conditions que les Indiens yaquis tu te trompes. De manière générale, la condition humaine est dans un horrible état de chaos. Personne n’est meilleur que qui que ce soit. Nous sommes tous des êtres qui vont mourir et, à moins que nous le reconnaissions, il n’existe aucun remède pour nous. » C’est un autre aspect du pragmatisme du chaman : devenir conscient que nous sommes des êtres qui allons mourir. Ils disent que lorsque nous faisons cela, tout acquiert une mesure et un ordre transcendantal.

Dernière  partie d’un interview de Carlos Castaneda publié par le magazine: Uno mismo au Chili et en Argentine en février 1997.

 

Amitiés

Claude Sarfati