LES ENSEMBLES VIVANTS, L’ELAN VITAL

 

LES ENSEMBLES VIVANTS

 Il y a, chez moi, une véranda faisant toute la longueur de la façade. Au début de mon séjour dans cette maison, de nombreux oiseaux se fracassaient le crâne en se cognant aux carreaux qu’ils ne percevaient  pas comme un obstacle. Puis on m’a dit qu’il suffisait, pour les protéger de ce danger, de coller sur le vitrage des silhouettes de rapaces. Je l’ai fait, et c’est réellement efficace. Les morts de petits oiseaux, sans s’être arrêtées complètement, sont devenues très rares.

On peut se procurer ces silhouettes dissuasives auprès de la ligue pour la protection des oiseaux, Corderie Royale, 130, rue Jean-Baptiste Audebert- 17300 Rochefort.

La thèse officielle veut que cette méfiance vis-à-vis des prédateurs volants soit inscrite dans les gènes de ces oiseaux. Il existe, à coup sûr, des apprentissages qui peuvent se transmettre par initiation d’une génération à l’autre, mais la reconnaissances des rapaces est répandue chez un trop grand nombre d’espèces différentes pour qu’il s’agisse de cela. Il faut donc que ce comportement soit dû, chez un ancêtre commun (donc fort ancien) à une mutation génétique favorable. Par sélection naturelle, ce caractère s’est ensuite généralisé chez un grand nombre de lignées différentes issues de ces premiers mutants. Cette explication évite aux biologistes de se fourvoyer dans des hypothèses invérifiables en se limitant à des mécanismes connus. Il reste quelques dissidents pour défendre une argumentation plus ancienne; certaines adaptations sont si complexes et si précises que le sens commun admet difficilement  qu’elles se soient produites de cette manière.

 L’ELAN VITAL 

La thèse opposée, à peu prés abandonnée de nos jours, est celle du « vitalisme » dont le philosophe Henri Bergson fut un des principaux défenseurs. Les lois de la « matière brute » ne régissent que partiellement le fonctionnement du vivant. Il faut supposer l’existence d’un principe différent animant la substance matérielle ( un peu comme un esprit ou une âme animerait le corps).b Pour Bergson, ce principe est l’élan vital, une sorte de courant qualitatif dont la « poussée » transforme la matière inerte en matière vivante. C’est de cet élan formateur que procède l’Evolution, mais sans qu’il y ait autant de finalisme, c’est-à-dire que les caractères nouveaux n’apparaissent pas en vertu d’un plan préétabli impliquant un « but » déterminé. Les fabuleuses adaptations de « l’instinct » animal et les stratégies non moins extraordinaires des plantes n’ont d’autres nécessité que le maintien de cette énergie vitale. Chez les êtres humains, on change complètement de niveau. L’instinct, lorsqu’il s’accompagne d’un supplément de conscience, devient intuition. Bergson oppose nettement l’intelligence, qui s’applique à l’utilisation mécanique et pratique de la matière, et l’intuition , liée, quant à elle, à l’élan vital. L’intuition étant la plus formidable des deux peut conduire à l’intelligence, mais non l’inverse.

« L’intuition est l’esprit même et en un sens la vie même; l’intelligence s’y découpe par un processus imitateur de celui qui a engendré la matière. Ainsi apparaît l’unité de la vie mentale. On reconnaît qu’en se plaçant dans l’intuition pour aller de là à l’intelligence, car de l’intelligence on ne passera jamais à l’intuition ».

En dehors de la conscience humaine, on aura « l’instinct », qui, selon Bergson, est  » moulé sur la vie ». « La connaissance qui unit une espèce à une autre a, dit-il, ses racines dans l’unité de vie.

Henri Bergson « L’Evolution créatrice » PUF-Grands textes

J’accueille volontiers cette référence à l’unité, mais il manque quelque chose, sans doute parce que la fréquentation de la pensée chinoise m’a déshabitué de faire, entre l’esprit et la matière, une différence aussi nette que celle de nos philosophes. La science a choisi de ne considérer que la seconde, même si sa substance se fait de plus en plus insaisissable. Bergson, par contre, se rattache à l’antique courant idéaliste et dualiste issu de Platon et du christianisme. Les Chinois des époques historiques ont toujours été portés à rechercher l’unité mais elle n’est pas le terme ultime. « En amont des formes », issues du jeu du Yin et du Yang, se situe l’Un dans lequel ils se confondent. En amont de l’Un veille l’indéfinissable Dao qui n’est pas, comme on l’a dit « le fonctionnement des choses ». Jean-François Billeter– « Leçons sur Tchouang Tseu« – Arlea, mais rien ne se fait sans lui Laozi « Le Dao de jing« . Quant à la différence entre l’esprit et la matière, c’est une affaire de qualité de « Qi« . Cette énergie universelle est une, bien qu’elle se manifeste de mille manières. C’est ce qui ressemble le plus à l’élan vital de Bergson avec cette différence notoire que les choses « inanimées » en sont également pourvues.

 

Propos sur le Yi Jing

 

Jean Philippe Schlumberger

 

Editions: R2N IMPRESSION

Amitiés

Claude Sarfati