L’ORACLE ET L’INTUITION

Notre oracle est un révélateur. On pourrait dire aussi qu’il apprivoise l’insaisissable. Lorsqu’il s’agit d’une intuition « sauvage », plusieurs cas sont possibles. Le premier est celui de l’urgence: nous n’avons pas le temps de choisir, une action s’impose, il se trouve que c’était la bonne; le second, probablement le plus courant, est celui de l’inconscience: nous avons fait ce qu’il fallait, mais nous n’en saurons jamais rien; reste le cas de l’inquiétude, enfin, voir de l’angoisse, du « quelque chose qui ne va pas… ». L’instinct animal se fait connaître, on sait sans savoir. C’est le plus difficile. On sent qu’il faudrait laisser venir l’action salutaire, on  n’est pas sûr de pouvoir le faire…Comment distinguer une simple croyance d’un « non agir » authentique.

Les oracles ont été inventés pour donner corps aux suggestions ou directives des dieux, des esprits, des ancêtres. Les formules oraculaires étaient très souvent ambigües, de sorte qu’on pouvait les interpréter de plusieurs manières. Après coup, lorsque l’événement annoncé s’était produit et que l’on découvrait enfin le vrai sens de la réponse, on comprenait aussi en quoi on s’était trompé et l’on apprenait peu à peu la prudence. Quant aux effets manifestement faux, on pouvait toujours les attribuer à des rituels incomplets ou mal exécutés. Même en ces temps anciens, certains devins étaient meilleurs ou plus habiles que d’autres; ils enseignaient à leurs disciples que l’excellence du résultat dépend d’une attitude souple et ouverte à l’égard des entités que l’on sollicitait.

Prenons ce Yi Jing des origines qu’on commence à entrevoir au-delà des traditions légendaires. Très tôt, le travail d’archivage et de classement des réponses fait apparaître des régularités formelles. On les organise, se rapprochant ainsi d’une logique, sans renoncer pour autant à sonder l’inconnu parce que nous appelons le hasard. La vision intuitive s’affine, elle s’accorde aisément à ce qu’on lit depuis toujours dans le ciel et la ronde des saisons. Peut-être est-il possible de se passer des dieux? Les réponses ne sont plus des sentences impératives imposant une vérité finale, mais les indications d’une direction, d’une voie à suivre. Les paroles des anciens, celle qu’on a retenues, sont juste assez vagues pour susciter des images. Les figures sont devenues mobiles, au-dedans par la succession de leurs traits, au-delà de leur dynamisme particulier par les mutations qui les transforment. Un vaste système apparaît. A la fois cycle et réseau, il préserve une part d’asymétrie, ne fermant jamais sur une exactitude stérilisante. C’est ainsi que l’intuition humaine (muette de naissance) a su construire, en Chine, son langage le plus achevé.

Propos sur le Yi Jing

Jean Philippe Schlumberger

Editions: R2N IMPRESSION

Amitiés

Claude Sarfati

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