« QUE RESTE-T-IL DES HUICHOLS ? » (3)

« Pour moi le seul lieu du monde où dorment les forces naturelles qui peuvent être utiles aux vivants Je crois à la réalité magique de ces forces, comme on peut croire au pouvoir curatif et salutaire de certaines eaux thermales. Je crois que les rites indiens sont les manifestations directes de ces forces. Je ne veux les étudier ni en tant qu’archéologue ni en tant qu’artiste, mais comme un sage, au vrai sens du mot; et j’essaierai de me laisser pénétrer en toute conscience de leurs vertus curatives, pour le bien de mon âme. »Antonin Artaud Lettre Au Gouverneur Du Mexique 1936.

« Après des fatigues si cruelles, je le répète, qu’il ne m’est plus possible de croire que je n’aie pas été réellement ensorcelé, que ces barrières de désagrégation et de cataclysmes, que j’avais senti monter en moi, n’aient pas été le résultat d’une préméditation intelligente et concertée, j’avais atteint l’un des derniers points du monde où la danse de guérison par le Peyotl existe encore, celui, en tout cas, où elle a été inventée. »A.ARTAUD

« La danse du Peyotl est avant tout, pour Artaud, un moyen de ne plus être « Blanc » : c’est-à-dire « celui qu’ont abandonné les esprits ». Le rite du peyotl est l’expression même de la « Race Rouge », de la plus antique possession par les dieux. Mais pour Artaud, c’est aussi la révélation d’une poésie à l’état pur ; d’une création en dehors du langage : création des gestes et des rythmes de la danse ; création pure, pareille, dit-il, à une « ébullition ». Artaud pense alors trouver un art pur, dégagé de toutes les conventions sociales ; un théâtre à l’état originel. C’est ce qu’on sent notamment dans l’étrange texte-poème qu’Artaud a intitulé Tutuguri, d’après le nom de la danse de la chouette. Il s’agit d’un rêve sur la danse des Tarahumaras, hanté par l’image des croix de bois que les six hommes purs tiennent embrassées, comme pour les épouser. Image du feu initial qui sort du cercle des croix, pendant que le soleil a pris rang. « II a pris forme au milieu du système céleste. Il s’est placé tout d’un coup comme au centre d’un formidable éclatement. » Le battement des tambours et le bruit des sipirakas rythment le pas des hommes et le danseur, le corps taillé d’une balafre de sang, entre en extase ».JMG LE CLEZIO ANTONIN ARTAUD OU LE REVE MEXICAIN.

Le romancier IVAN ALECHINE a consacré un roman aux Huichols loin de toute nostalgie exotique : Pour le narrateur, Iman, poésie et environnement sont liés : si la terre se meurt, l’inspiration meurt aussi. Or, la terre se couvre de parkings, de routes, de béton. Il va donc chercher chez les Huichols, au cœur du Mexique, le renouvellement de ses sources. Ayant lu les livres de Carlos Castaneda, il se lance à la recherche de Don Juan Matus, « l’Indien solitaire ». Mais la réalité qu’il découvre est tout autre : les Indiens sont de pauvres gens que l’on pille, des barrages inondent leur terre, la déforestation avance et leur pensée, comme celle du héros, est menacée. C’est sans doute parce qu’il a perdu ses propres repères qu’Iman se sent si proche d’eux. Devant le désastre, la volonté de lutter s’affirme pourtant :

« Que reste-t-il des Huichols, ces indiens cousins des Aztèques ? Iman part au Mexique muni de quelques repères, d’idées générales à la recherche de  » la magie indienne, des pouvoirs paranormaux, d’illuminations exceptionnelles « . Iman part en fait sur les traces de Don Juan Matus, l’Indien solitaire de Carlos Castaneda. Sa quête d’une poésie indienne va se heurter aux murailles de la modernité. Un premier voyage le laisse bredouille. Bourré de peyotl, il viole le mont Leonax que les Huichols gravissaient pour rendre hommage au soleil levant. Et il redescend, hagard dans Real,  » Jérusalem blanche au milieu du chaos des montagnes « , une ville à l’abandon depuis la fermeture des mines d’argent. Les Huichol se dérobent, Iman persiste, à la recherche de sources sauvages d’inspiration. Castaneda le hante jusqu’à sa rencontre avec Randall, l’ex-beat américain qui lui sert de guide. Randall se méfie de ce touriste poète –  » No Art !  » – qu’il dépucelle illico sur ces Huichols sauvages : les enfants meurent sans être vaccinés, les propriétaires volent les terres, l’État construit routes et barrages qui strient le territoire des Huichols. Des poètes ? Mais les Huichols n’en ont pas besoin ! Eux-mêmes ne sont pas poètes.  » Ils sont tout sauf poètes ! Ils mènent une existence harassante, enchaînés à leur terre, et connaissent des difficultés insensées pour survivre. Il n’est pas drôle d’être un Huichol, un Huichol pour la vie, une sorte d’étranger dans son propre pays !  » Randall pourtant emmène Iman au pays des Huichols, un territoire de trois cents kilomètres jusqu’à la côte Pacifique. Ils participeront au pèlerinage du Voyage des morts. Iman découvre un peu de la vie des Huichol, fondée sur le mouvement comme leur religion l’est sur la nature :  » Une montagne, une source, une rivière, une forêt, un amas de granit ou une grotte sont des dieux. Ainsi, quand on détruit un endroit à la dynamite, c’est une divinité qu’on élimine de la surface de la terre.  » Et la route, c’est le début de la fin des Huichols. Cinq cents ans après Cortés, la guerre continue par les mots, par la rhétorique afin de faire croire à la modernité et de  » figer tout ce qui bouge, bétonner l’eau, pétrifier le vent, solidifier tout ce qui est volatil, construire des autoroutes, telle est l’idéologie espagnole : une bonne nature est une nature morte « . Et si le peuple Huichol a pu survivre, c’est uniquement dû à sa faculté de rompre et de s’échapper :  » Peu fiables, lâches, ils ont gardé leur autonomie…  » Le voyage ne sera pas vain, et Iman puisera une poésie de la vie derrière les cuirasses de la survie. Et comble du touriste, il promet de revenir aider Randall pour un reportage photographique. Il devient cette fois poète témoin ».

Les Voleurs de pauvres, Ivan Alechine, Éditions de la Différence,

Source: REGARD ELOIGNE

Amitiés

Claude Sarfati