Ma France

france-2

De plaines en forêts de vallons en collines
Du printemps qui va naître à tes mortes saisons
De ce que j’ai vécu à ce que j’imagine
Je n’en finirai pas d’écrire ta chanson
Ma France

Au grand soleil d’été qui courbe la Provence
Des genêts de Bretagne aux bruyères d’Ardèche
Quelque chose dans l’air a cette transparence
Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche
Ma France

Cet air de liberté au-delà des frontières
Aux peuples étrangers qui donnaient le vertige
Et dont vous usurpez aujourd’hui le prestige
Elle répond toujours du nom de Robespierre
Ma France

Celle du vieil Hugo tonnant de son exil
Des enfants de cinq ans travaillant dans les mines
Celle qui construisit de ses mains vos usines
Celle dont monsieur Thiers a dit qu’on la fusille
Ma France

Picasso tient le monde au bout de sa palette
Des lèvres d’Éluard s’envolent des colombes
Ils n’en finissent pas tes artistes prophètes
De dire qu’il est temps que le malheur succombe
Ma France

Leurs voix se multiplient à n’en plus faire qu’une
Celle qui paie toujours vos crimes vos erreurs
En remplissant l’histoire et ses fosses communes
Que je chante à jamais celle des travailleurs
Ma France

Celle qui ne possède en or que ses nuits blanches
Pour la lutte obstinée de ce temps quotidien
Du journal que l’on vend le matin d’un dimanche
A l’affiche qu’on colle au mur du lendemain
Ma France

Qu’elle monte des mines descende des collines
Celle qui chante en moi la belle la rebelle
Elle tient l’avenir, serré dans ses mains fines
Celle de trente-six à soixante-huit chandelles
Ma France

 Paroles et Musique: Jean Ferrat
autres interprètes: Isabelle Aubret

 J’ai longtemps voyagé aux quatre coins du monde mais le pays de mon enfance est aussi celui de mon coeur.

Bon dimanche,

Claude Sarfati

UN LIVRE-DEVENIR

Transformer le monde entier en espace intérieur. (Rilke)

D’abord la nuit du monde – insondable, « le flux de l’obscur qui monte en houles » (José Angel Valente). Chaos, confusion, aveuglement. Puis, lentement, les yeux s’accoutument aux étoiles peuplant l’obscurité. Les choses semblent s’ajuster, sortir de leur torpeur, obéir à des rythmes. Apogée – déclin, vie- mort, actif – passif, plein – vide, aller – retour. Ce qui s’en va revient, ce qui revient s’en va. Cycle sans fin, changement perpétuel. Il n’est d’immuable que la transformation, socle mouvant du monde. Danse des atomes, succession des métamorphoses: le passage est la seule règle.

En vérité, les anciens Chinois ne s’intéressent guère à l’être, figure arrêtée, concept pétrifiant la vie. A l’écoute des qualités du réel, ils y découvrent, à l’instar de Nietzsche, « le changement, le devenir, la pluralité, l’opposition, la contradiction, le combat », à ceci près qu’ils perçoivent de tels mouvements sous le signe fluide de l’interdépendance. Le devenir dont ils s’efforcent de prendre la mesure n’est pas simplement une ligne horizontale glissant vers l’infini, mais une spirale s’éloignant – revenant dans la verticalité de l’espace – temps. Sur cette spirale, rien n’existe isolément. Tout fait écho, tout communique; les notions de centre et de confins s’évanouissent. Sort commun de l’univers, la transformation apparaît réglée par des lois. Au sein de ce flux, « écoulement sans doute absolu » (Nietzsche), certains éléments reparaissent en même nombre dans les mêmes circonstances. Éternel retour du même. Comme si l’entropie empruntait toujours un nombre délimité de figures.

Figures repérées, dénombrées et classifiées dans un livre singulier, deux fois millénaire, à la fois dispositif stratégique et opus in progress: le yi king ou « Classique des changements ». A l’origine, deux signes épurés, radicalisant la représentation du réel: un trait plein, ——–, un trait brisé —  —, soit l’alternance rythmique du yang  et du yin. Noire ou croche, la vie est affaire de musique –  » le yin et le yang, dit Tchouan-Tseu, concertent et s’harmonisent ». Le doux s’affermit, le dur s’attendrit; toute chose appelle d’elle-même autre chose qu’elle-même. Parvenue au sommet de sa tension  énergétique, le cube est si cubique qu’il en devient sphère – et quand la sphère trouve sa perfection, elle rebascule dans son devenir-cube. Au fond, chaque état de l’univers peut être saisi comme une symbiose particulière de données yin et yang.

Par alternance et dédoublement de deux traits fondateurs, naissent les soixante-quatre hexagrammes sur lesquels s’établit le yi king. Ces signes d’avant l’écriture, d’avant même la confusion des langues, modélisent les lois du changement. Théâtres en miniature des potentialités humaines, « briques » de l’espace-temps, ils offrent une géométrie universelle en prise directe avec la palette des phénomènes. Derrière la discontinuité visible, formant une sorte de double précis et éprouvé de la vie. En exact miroir du monde qu’il décrit, rythme et pénètre, le yi king est un livre-devenir, un système ouvert condensant la diversité du vivant, où le linéaire cède la place au circulaire, au « germinatif » (Abellio). Par le jeu incessant et rigoureux des mutations, chaque hexagramme porte en germe l’ensemble des autres. Énergétique généralisée, connaissance par les traits. Livre d’un présent continu, qui met au jour l’ossature du temps.

Le yi king n’est « voyant » que dans la mesure où il donne à voir. Boussole du temps, il sonde uniquement le nord du possible. Il ne prédit rien, mais oriente le consultant vers le « juste milieu » (le « centre », diraient les taoïstes) d’une situation. Il ne prévoit pas, mais tempère l’imprévisible. A la pensée généalogique, régie par la fiction opérante du moi et de la causalité, il oppose l’émerveillement analogique. A la succession, la simultanéité. A la séparation, la ressemblance, où abolit la distinction de l’être et du faire. La réponse du yi king vient le plus souvent comme re-connaissance d’une question autre, bien plus vaste que celle posée. Question qui n’appelle aucune réponse, sinon le feu insoupçonné de sa propre consumation. A cet instant, entre l’hexagramme – amas de savoirs successifs, dépôt d’une exceptionnelle densité – et la personne – feu d’artifice de particules chaotiques -, s’opère une coïncidence silencieuse. Celui qui s’ouvre au livre fait retour sur lui-même, interroge son centre de gravité, explore sa cosmologie interne. Attentif aux harmoniques de l’instant, il avance « vers le fond des choses où une loi originelle entretient leur croissance » (Klee).

Préface et traduction par Zéno Bianu

LIEOU YI-MING

THOMAS CLEARY

Yi King

Édition du Seuil

Tableau d’Isabel Schiffmacker

Amitiés

Claude Sarfati

Le Yin et le Yang

La philosophie Chinoise (du moins dans toute la partie connue de son histoire) est dominée par les notions de Yin et de Yang. Rappelons qu’il ne nous est parvenu aucun fragment ( où se retrouve une préoccupation philosophique) qui puisse être estimé sensiblement antérieur au cinquième siècle. Tous les interprètes le reconnaissent. Tous aussi considèrent ces emblèmes avec la nuance de respect qui s’attache aux termes philosophiques et qui impose de voir en eux l’expression d’une pensée savante. Enclins à interpréter le Yin et le Yang en leur prêtant la valeur stricte qui semble convenir aux créations doctrinales, ils s’empressent de qualifier ces symboles chinois en empruntant des termes au langage défini des philosophes d’Occident. Aussi déclarent-ils tout uniment tantôt que le Yin et le Yang sont des forces, tantôt que ce sont des substances. Ceux qui les traitent de forces – telle est, en général, l’opinion des critiques chinois contemporains – y trouvent l’avantage de rapprocher ces antiques emblèmes des symboles dont use la physique moderne. HU SHIH, The development of logic al method in anscient China, et (à sa suite) TUCCI, storia della filosofia cinese antica, p 15, et SUZUKI, A brief history of early chinese philosophy, p 15. Les autres – ce sont des Occidentaux – entendent réagir contre cette interprétation anachronique. Maspero, la Chine antique pp. 482-483. Des idées assez différentes et qui semblent s’inspirer d’une autre interprétation sont exprimées aux pages 273 et suivantes du même ouvrage. COMP. WIEGER, Histoire des croyances religieuses et des opinions philosophiques en Chine, depuis l’origine jusqu’à nos jours, p. 127. Ils affirment donc (tout à l’opposé) que le Yin et le Yang sont des substances, – sans songer à se demander si, dans la philosophie de la Chine ancienne, s’offre la moindre apparence d’une distinction entre substances et forces. Tirant argument de leur définition, ils prêtent à la pensée chinoise une tendance vers un dualisme substantialiste et se préparent à découvrir dans le Tao la conception d’une réalité suprême analogue à un principe divin. Maspero, op. cit., p.483, note 1, et pp. 499 sqq. Pour échapper à tout parti pris, il convient de passer en revue les emplois anciens des termes yin et yang, – ceci en évitant tout pédantisme chronologique et en songeant aux dangers de la preuve par l’absence. – C’est aux premiers astronomes que la tradition chinoise fait remonter la conception du Yin et du Yang. Ts’ien Han Chou, 30, p 15 b. De fait, on trouve mention de ces symboles dans un calendrier dont l’histoire peut être suivie à partir du troisième siècle avant notre ère. Ce traité, le Yue ling (cf. Li ki, c., pp. 330 sqq.), nous est parvenu dans trois éditions conservées par le Lu che tch’ouen ts’eiou, Houai-nan tseu, et le Li ki. Il est à la mode, de nos jours, d’attribuer aux théoriciens de la divination la première idée d’une conception métaphysique du Yin et du Yang; ces termes apparaissent en effet assez fréquemment dans un opuscule se rapportant à l’art divinatoire. Ce traité a longtemps passé pour être l’œuvre de Confucius (début du cinquième siècle). On préfère aujourd’hui le dater des quatrième et troisième siècle. Ce traité, le Hi ts’eu est un appendice du manuel divinatoire nommé Yi King (cf. Yi King, L., 348 sqq). Comp. Les prolégomènes de Legge (ibid. , pp. 26 sqq.; pp. 36 sqq.), et Maspero, op. cit., p480. Les théoriciens de la musique n’ont jamais cessé de fonder leurs spéculations sur le thème d’une action concertante (tiao) prêtée au Yin et au Yang. Ce thème est l’un de ceux qu’aime tout particulièrement à évoquer Tchouang tseu, auteur du quatrième siècle, dont la pensée se rattache au courant taoïste. SMT, III, pp. 301 sqq. et le P. Wieger, Les pères du système taoïste, p. 321. Une allusion, courte et précise, à cette action concertante, se retrouve dans un passage de Mö tseu. Mö tseu, 7. cf. Forke: Mo Ti, des Socialethikers und seiner Schüler philosophische Werke, p. 324. Maspero professe que les auteurs du Hi ts’eu sont les inventeurs de la théorie du Yin et du Yang; aussi admet-il (le Hi ts’eu étant jugé postérieur à l’œuvre de Mö tseu) que ce passage est interpolé, tout en reconnaissant qu’il fait partie dun chapitre de cette œuvre estimé authentique. Comme la doctrine de Confucius, celle de Mö tseu se rattache à une tradition de pensée humaniste. Son œuvre date de la fin du cinquième siècle av. J.-C. Ajoutons que les termes yin et yang figurent dans la nomenclature géographique: celle-ci, au moins pour ce qui est des lieux saints et des capitales, s’inspirait certainement de principes religieux. – Dès la période qui s’étend du cinquième au troisième siècle, les symboles Yin et Yang se trouvent employés par des théoriciens d’orientation très diverses. Cet emploi très large donne l’impression que ces deux symboles signalent des notions inspirant un vaste ensemble de techniques et de doctrines.

Cette impression se trouve confirmée dés que l’on songe à vérifier dans le Che king l’usage des mots yin et yang. On néglige d’ordinaire d’en tenir compte. On suppose qu’il ne peut s’agir que d’emplois vulgaires auxquels on dénie tout intérêt philosophique. Le Che king, cependant, quand il s’agit d’une étude de termes et de notions, fournit le fond le plus solide: ce recueil poétique, dont la compilation ne peut être postérieure au début du cinquième siècle, est, de tous les documents anciens, celui qui a le mieux résisté aux interpolations. Dans la langue du Che king, le mot yin évoque l’idée de temps froid et couvert, de ciel pluvieux; il s’applique à ce qui est intérieur (nei) et, par exemple, qualifie la retraite sombre et froide où, pendant l’été, on conserve la glace. Le mot Yang éveille l’idée d’ensoleillement et de chaleur; il peut encore servir à peindre le mâle aspect d’un danseur en pleine action; il s’applique aux jours printaniers où la chaleur solaire commence à faire sentir sa force et aussi au dixième mois de l’année où débute la retraite hivernale. Les mots yin et yang signalent des aspects antithétiques et concrets du Temps. Ils signalent, de même, des aspects antithétiques et concrets de l’Espace. Yin se dit versants ombreux, de l’ubac (nord de la montagne, sud de la rivière); Yang, des versants ensoleillés (nord de la rivière, sud de la montagne), de l’adret, bonne exposition pour une capitale. Or, quand il s’agissait de déterminer l’emplacement de la ville, le Fondateur, revêtant ses ornements sacrés, commençait par procéder à une inspection des sites à laquelle succédaient des opérations divinatoires: cette inspection est qualifiée d’examen du Yin et du Yang (ou, si l’on veut traduire, d’examen des versants sombres ou ensoleillés). Il est sans doute utile de rappeler ici que le dixième mois de l’année, qualifié de mois yang par le Che king, est celui où les rites ordonnaient de commencer les constructions: on doit penser qu’on en choisissait alors le site. Les premiers jours du printemps sont ceux où les constructions doivent être terminées et, sans doute, inaugurées; à ces jours convient aussi l’épithète yang. Ces témoignages, les plus anciens et les plus certains de tous ceux qu’on possède, ne peuvent être négligés. Ils signalent la richesse concrète des termes yin et yang. Ces symboles paraissent avoir été utilisés par des techniques variées: mais ce sont toutes des techniques rituelles et elles se rattachent à un savoir total. Ce savoir est celui dont l’analyse des représentations de Temps et d’Espace a pu faire pressentir l’importance et l’antiquité. Il a pour objet l’utilisation religieuse des sites et des occasions. Il commande la liturgie et le cérémonial: l’art topographique comme l’art chronologique. De ce savoir dépend l’ensemble des techniques dites divinatoires.

 Marcel Granet

La pensée chinoise

Editions Albin Michel

 

Amitiés

Claude Sarfati

Mon oncle d’Amérique (Hommage à Alain Resnais)

Trois destinées, celles d’un journaliste directeur des informations d’un poste de radio, d’un fils d’agriculteur recyclé dans une industrie textile elle-même en mutation, et celle d’une fille d’ouvrier devenue styliste, s’entrecroisent en contrepoint des théories formulées depuis son laboratoire par le professeur Laborit, biologiste et analyste des comportements des rats et des hommes vivant en société.

Jean Le Gall appartient à la bourgeoisie traditionnelle. Il a de l’imagination et de l’ambition et mène une carrière politique et littéraire. Un soir, il rencontre une jeune comédienne, Janine, et, pour elle, quitte femme et enfants. Jeannine Garnier est fille de militants communistes. Elle abandonne brusquement son environnement familial et social contraignant (et pauvre) pour « vivre sa vie ». Sa vie, c’est le théâtre. Sa liaison avec Jean prend fin à la suite d’une démarche de l’épouse de ce dernier, qui utilise le chantage au sentiment. Janine change de métier, d’ambiance, devient conseillère d’un groupe industriel et commercial. C’est à ce titre qu’elle aura à s’occuper du cas de René Ragueneau. René, fils de paysans catholiques, catholique lui-même, a abandonné le travail de la terre pour celui du textile. Il est devenu directeur d’usine . Mais la crise économique et les jeux de l’ambition humaine lui occasionnent une série de déconvenues et humiliations professionnelles. Mal armé pour les affronter, il adopte une attitude farouche et des réactions maladroites qui le conduisent à une tentative de suicide.

Au fur et à mesure que les trois branches de l’histoire se développent, les interventions « hors texte » d’un savant biologiste (Henri Laborit, dans son propre rôle) nous renseignent sur certaines lois du comportement humain fondées sur l’étude du cerveau et de la physiologie animale en général. Ces théories, clairement exposées, soutiennent que les actes qu’accomplit l’individu sont déterminés par le conditionnement de la petite enfance. Chacun réagit selon des pulsions de type primaire : la lutte avec le rival ou la fuite devant l’ennemi, selon le cas. Lorsque le sujet est incapable de choisir entre l’affrontement et la dérobade, il se produit le phénomène d’inhibition qui peut conduire à des réactions-limites comme le suicide.

Film d’Alain Resnais, scénario : Jean Gruault, inspiré par les travaux de Henri Laborit. Avec : Gérard Depardieu (René Ragueneau), Nicole Garcia (Janine Garnier), Roger Pierre (Jean Le Gall), Marie Dubois (Thérèse Ragueneau), Nelly Borgeaud (Arlette Le Gall), Pierre Arditi (Zambeaux), et le professeur Henri Laborit dans son propre rôle.

Selon Laborit, la conduite est réglée par trois motivations : la consommation, la récompense, pour laquelle on fuit ou on lutte, et l’inhibition.

Notre cerveau comporte un cerveau reptilien qui assure nos réflexes de survie et qui dirige notre comportement de consommation. Notre deuxième cerveau, commun avec celui des mammifères, est celui de la mémoire. Il guide notre comportement de récompense : on fuit les expériences que l’on sait douloureuses et on lutte pour rechercher le plaisir. Si toutes les voies sont bouchées, il reste l’inhibition qui conduit à la mort. Notre troisième cerveau, le néocortex, permet d’associer des idées provenant d’expériences différentes. Il ne nous sert bien souvent qu’à tenir un discours qui permet de justifier nos deux premiers comportements.

Il devrait nous permettre de comprendre que ces deux premiers cerveaux n’instaurent entre les hommes que des comportement de domination. Or l’homme n’est fait que de son contact avec les autres hommes. Ne pas être conscient qu’il faut lutter contre les instincts de dominations, ne peut conduire qu’au malheur individuel et collectif.

Amitiés

Claude Sarfati

Décès du généticien Albert Jacquard

Agé de 87 ans, ce polytechnicien et militant de gauche a succombé mercredi soir à une leucémie.

Son collier de barbe encadrant une gueule cabossée de philosophe antique et ses combats passionnés pour les sans-papiers et contre le racisme ont marqué les mémoires : le généticien Albert Jacquard est mort mercredi à l’âge de 87 ans.

Le président d’honneur de l’association Droit au logement (DAL) a été emporté par une forme de leucémie à son domicile parisien du VIe arrondissement, a précisé son fils à l’AFP. «Courageux et profondément bon»«l’humanité des hommes était son combat», a lancé en hommage sur son compte twitter son collègue Axel Kahn.

«Les races humaines n’existent pas», martelait le Pr Jacquard, expliquant sans relâche pourquoi «l’inégalité» est un concept purement mathématique qui ne peut s’appliquer aux êtres vivants. «Le contraire d' »égal », c’est « différent » dès lors qu’il s’agit d’autre chose que des nombres, pas « inférieur » ou « supérieur »», assénait le généticien avec son petit cheveu sur la langue bien connu des auditeurs de sa chronique quotidienne sur France Culture (2001-2010). Un combat scientifique d’autant plus farouche qu’il s’est lancé sur le tard dans la bataille.

Né le 23 décembre 1925 à Lyon dans une famille de la bonne société, Albert Jacquard est reçu à Polytechnique vingt ans plus tard. C’est la Libération mais il vient de passer deux ans à préparer ses concours et n’a pas vraiment vu la Seconde Guerre mondiale, comme un «passager de l’Histoire».

Jeune ingénieur, il entre en 1951 à la Seita (manufactures des tabacs et allumettes) pour y travailler à la mise en place d’un des premiers systèmes informatiques. Tout en reconnaissant avoir été «passionné par ce travail», il regrettera par la suite d’avoir «joué le jeu de la réussite technique pendant dix ans». Car pour Albert Jacquard, «un ingénieur, un technicien efficace est par définition quelqu’un de dangereux, tandis qu’un chercheur est quelqu’un qui s’efforce d’être lucide».

Après un bref passage au ministère de la Santé publique, Jacquard rejoint l’Institut national d’études démographiques (Ined) en 1962. Il approche de la quarantaine et «s’aperçoit qu’on n’est pas éternel et qu’on ne veut pas gâcher sa vie à des choses dérisoires».

Auteur à succès

Albert Jacquard part donc étudier la génétique des populations dans la prestigieuse université américaine de Stanford, puis revient à l’Ined et passe deux doctorats en génétique et biologie humaine dans la foulée. Parallèlement à l’enseignement et son travail d’expert à l’OMS, il n’aura de cesse de démonter les arguments prétendument scientifiques des théories racistes et sera même témoin en 1987 au procès du nazi Klaus Barbie pour crimes contre l’humanité.

Ses premiers livres, comme Eloge de la différence: la génétique et l’homme (1978) rencontrent un grand succès qui ne se démentira pas, même quand il dérivera vers la philosophie, la vulgarisation scientifique ou l’humanisme anti-libéral. Car Albert Jacquard n’aimait pas plus le libéralisme – «catastrophe pour l’humanité» – que le racisme. «La compétition systématique entre les êtres humains est une ânerie», tranchait le professeur qui, à ce titre, se refusait à noter ses élèves, sauf à leur donner tous la même note.

Le Pr Jacquard sera même candidat aux législatives à Paris en 1986 sur une liste soutenue par divers mouvements de la gauche alternative, puis en 1999 sur la liste écologiste conduite par Daniel Cohn-Bendit (en 84e position).

Dans les années 1990, Albert Jacquard va mettre sa verve médiatique au service d’une autre cause: les mal-logés et les sans-papiers. Occupation d’un immeuble rue du Dragon en 1994, de l’église Saint-Bernard en 1996… Son visage de vieux faune grec devient vite aussi familier que celui de l’Abbé Pierre, Mgr Gaillot ou Emmanuelle Béart, ses compagnons de lutte.

L’âge aidant, il se fera plus discret. Mais il continuera à soutenir les démunis et à pousser des coups de gueule, démarche «volontariste» pour léguer un monde un peu moins mauvais à ses petits-enfants. «Les jeunes voient en moi un vieux monsieur qui représente une certaine façon de penser», s’amusait le Pr Jacquard en évoquant quelques écoles primaires qui n’avaient pas attendu sa mort pour se baptiser de son nom. «Ce qui me réjouit, c’est qu’il existe aussi de nombreuses écoles Pierre Perret !»

Source: AFP

Je vous propose d’écouter Albert Jacquart en cliquant sur ce lien.

Amitiés: Claude Sarfati