Le connu est-il le réel?

L’homme ne possède qu’un nombre limité de sens pour percevoir la réalité extérieure, et chaque sens a ses propres frontières. Quand bien même l’homme s’aiderait-il d’instruments de plus en plus perfectionnés, ces instruments eux aussi auraient une limite. Aussi serait-il hasardeux d’affirmer que nous pouvons avoir accès à l’essence la plus intime des choses. Cette essence, nous l’appellerons le Réel, nous l’appellerons le Connu. On ne saurait supposer que le Connu est identique au Réel. Ceci revient à dire que l’homme ne peut avoir sur les choses qui l’entourent un point de vue absolu mais seulement relatif et qui dépend des moyens dont il dispose.

Est-il possible, cependant, de décrire ce Réel qui ne nous est pas accessible? Possédons-nous un moyen – les mathématiques, par exemple- qui transcende l’esprit?

Pour voir dans quelle mesure cette tentative d’atteindre le Réel se justifie, il nous faut faire un bref retour sur les siècles passés. On s’apercevra que la Physique s’est toujours heurtée à d’énormes difficultés faute d’avoir accepté la distinction nécessaire entre le Réel et le Connu.

Toute la bataille s’est livrée, en fait, sur le terrain suivant: la structure la plus intime de tout ce qui forme notre univers est-elle discontinue, granulaire, « particulaire »? Ou, au contraire, est-elle continue?

Pythagore, cinq siècles avant notre ère, propose une structure discontinue. Pour lui, les nombres entiers (donc la discontinuité) sont à la base de toute chose. Démocrite et Leucippe développent parallèlement l’atomisme: tout se réduit à des atomes insécables et, par ailleurs, immortels.

Mais des difficultés surgissent bientôt: on découvre les nombres « irrationnels » qui ne peuvent se représenter comme des rapports de deux nombres entiers. D’autre part Zénon démontre que le discontinu entraîne l’impossibilité théorique de tout mouvement: on connaît le célèbre « paradoxe de la flèche » qui, dans l’hypothèse du discontinu, n’atteindrait jamais son but.

 Jean Charon

Revue PLANETE (1961 / 1962)

Pratique Juste

Dogen-Zenji dit: « Le temps va du présent au passé. » Ceci est absurde, mais dans votre pratique c’est parfois vrai. Au lieu de progresser du passé au présent, le temps remonte du présent au passé. Yoshitsuné était un célèbre guerrier du Japon médiéval. A cause de la situation du pays à cette époque, il fut envoyé dans les provinces du nord, où il fut tué. Avant de partir, il dit adieu à son épouse, et, peu après, elle écrivit dans un poème: « comme on déroule le fil d’une bobine, je veux voir le passé devenir le présent. » Par ces mots, elle rendit effectivement le passé présent. Dans son esprit, le passé devenait vivant et était bien le présent. Ainsi comme disait Dogen:  » Le temps va du présent au passé. » Dans notre esprit logique, ceci n’est pas vrai, mais ceci l’est dans l’effective expérience de transformation du passé en présent. Là nous avons la poésie, et là nous avons la vie humaine.

Quand nous faisons l’expérience de cette sorte de vérité, cela veut dire que nous avons trouvé la vraie signification du temps. Le temps passe constamment du passé au présent et du présent à l’avenir. Ceci est vrai, mais il est vrai aussi que le temps va de l’avenir au présent et du présent au passé. Un maître Zen dit autrefois:  » Faire un kilomètre à l’est, c’est faire un kilomètre à l’ouest. » Ceci est la liberté essentielle. Nous devrions acquérir cette liberté parfaite.

Mais la liberté parfaite ne se trouve pas sans quelques règles. Les gens, surtout les jeunes, pensent que la liberté consiste à ne faire que ce qu’ils veulent, que dans le Zen les règles sont inutiles. Mais il nous est absolument nécessaire d’avoir quelques règles. Cependant, cela ne signifie pas être toujours sous contrôle. Tant que vous avez des règles, vous avez une chance d’être libre. Essayer d’obtenir la liberté en ignorant les règles ne veut rien dire. C’est pour acquérir la liberté parfaite que nous pratiquons Zazen.

Pratique Juste

La pratique de Zazen est l’expression directe de notre vraie nature. Au sens strict, pour un être humain, il n’y a pas d’autre pratique que cette pratique; il n’y a pas d’autre manière de vivre que cette manière de vivre.

Esprit Zen

esprit neuf

Shunryu Suzuki

Editions: Point

Amitiés

Claude Sarfati

Se libérer du connu (Krishnamurti)

 

krishnamurti 5

 

Les vies que nous menons comportent, en général très peu de solitude. Même lorsque nous sommes seuls, elles sont encombrées par tant d’influences, de connaissances, de souvenirs, d’expériences, de soucis, de chagrins, de conflits, que nos esprits s’alourdissent de plus en plus, deviennent de plus en plus insensibles dans leurs routines monotones. Ne sommes-nous jamais seuls ? Sommes-nous toujours surchargés des fardeaux d’hier ?

Il y a une assez jolie histoire de deux moines qui marchaient de village en village. Ils rencontrèrent une jeune fille assise au bord d’une rivière, et qui pleurait. L’un des moines s’approcha d’elle et lui dit : « Pourquoi pleurez-vous, ma sœur ? » Elle répondit : « Vous voyez cette maison sur l’autre rive ? Ce matin j’ai traversé facilement la rivière à pied, maintenant elle a enflé, je ne peux pas rentrer chez moi, il n’y a pas de barque. – Qu’à cela ne tienne », répondit le moine. Il la prit sur ses épaules et la déposa sur l’autre rive. Or, deux heures après qu’ils eurent repris leur chemin, l’autre moine lui dit : « Frère, nous avons fait le vœu de ne pas toucher une femme. Tu as commis un péché terrible. N’as-tu pas éprouvé un plaisir, une intense sensation en touchant cette femme ? – Eh quoi ! repartit le premier, je l’ai laissée il y a deux heures ; tu la portes encore, n’est-ce pas ? »

 

Et c’est ce que nous faisons. Nous portons toujours nos fardeaux, nous ne mourons jamais au passé, nous ne le laissons jamais derrière nous. Ce n’est que lorsqu’on accorde une attention totale à un problème, et qu’on le résout immédiatement, sans le prolonger jusqu’au lendemain, ni même jusqu’à la minute qui suit, que l’on se trouve dans un état de solitude. Alors, même si l’on vit dans une maison encombrée, même lorsqu’on est dans un autobus, on peut être dans cette solitude, qui indique que l’on a l’esprit frais et innocent.

J. Krishnamurti Se libérer du connu Chapitre 14 (p. 106-107)

Bonne lecture, bonne écoute: Claude Sarfati

En écoutant le sage Hindou Krishnamurti

Spirituel… Pour une oreille un peu sensible, échaudée par toutes les sottises auxquelles il a été associé, ce mot est presque obscène. Et pourtant, dans certains contextes, quel autre mot peut-on employer? Quand on lit Maître Eckhart, par exemple, ou quand on écoute, comme nous l’avons fait à Gstaad, Krihsnamurti (1), on est contraint de reconnaître que « spirituel » est parfois un mot juste. « Je vous montre la douleur et la fin de la douleur. »

Tous les grands maître de la vie spirituelle (hé oui!) ont été à la fois profondément pessimistes et presque infiniment optimistes. Si certaines conditions sont remplies, les humains peuvent cesser de se conduire comme les misérables créatures qu’ils s’imaginent être, à tort, et devenir ce qu’ils ont toujours été, s’ils se donnent une faible chance de l’apprendre: libérés, illuminés, « divins en Dieu ». Mais que seule une minuscule minorité d’entre nous y parviendra est une évidence écrasante. Beaucoup sont appelés, peu sont élus. Car peu choisissent d’être choisis.

La fin de la douleur est possible; mais la permanence de la douleur est certaine. Tout ce que peuvent faire les maîtres de la vie spirituelle est de nous rappeler ce que nous sommes, et ce que nous pouvons faire pour atteindre la reconnaissance de notre nature: méditer, au sens d’une conscience complète et inclusive de chaque instant, pour bénéficier des corollaires de cette haute méditation, le bien-être et le bien-agir.

(1) Mystique et philosophe, propagandiste en Occident de l’enseignement védantique, comme le fut, voici un demi-siècle Vivekananda, célébré par Romain Rolland. Consulter, parmi les dernières publications: « la nature de l’homme selon le Vedanta« , de John Levy (éd. Denoël). – Les conférences de Krishnamurti vont être publiées en français bientôt.

Quelle formidable machine que l’homme!

Article d’Aldous Huxley

Revue Planète 1962.

 

Jiddu Krishnamurti, né à Madanapalle le 11 mai 1895 et décédé à Ojai, le 17 février 1986 il y a 27 ans ce dimanche.

Rendons lui hommage dans une « vraie » Méditation sur ce: qui suis-je?

Amitiés: Claude Sarfati

 

Arnaud Desjardins parle du libre arbitre

LA QUESTION DU LIBRE ARBITRE a été discutée à travers les siècles par tous les philosophes sans qu’aucune conclusion ne fasse l’unanimité. Et les plus grands sages de l’Inde paraissent se contredire, affirmant que tout est œuvre de la seule shakti (énergie divine) mais proposant une pratique personnelle qui met en jeu l’initiative individuelle.

Il y a une approche relative: est-ce que je peux gagner en liberté intime? Et il y a une approche radicale, plus délicate à comprendre car cette question du libre arbitre, nous la posons à partir de la conviction de l’ego individualisé- le moi et le non-moi – qui est une forme d’erreur fondamentale, Arthur Osborne, un disciple anglais de Ramana Maharshi qui a passé dix ans dans son ashram du vivant de celui-ci a écrit plusieurs livres, a utilisé une image du temps de la T.S.F. où les postes de radio étaient volumineux, avec de grosses lampes à l’intérieur. Imaginons, dit-il, qu’un indigène d’une tribu du fin fond de la forêt vierge, qui n’a jamais eu la moindre notion d’électricité ni la moindre idée de ce qu’est un poste de radio, entende une voix de femme qui sort de cette énorme boîte. Cette personne demande « la dame qui est dans la boîte, est-ce qu’elle décide des chansons qu’elle veut chanter » -auquel cas elle aurait un libre arbitre- « …ou est-ce qu’elles lui sont imposées? » La réponse se situe à un autre niveau: « il n’y a pas de dame dans la boîte. » Vous n’êtes pas beaucoup plus avancés, mais c’est un point de départ de réflexion: toute cette question du libre arbitre se pose à partir de la conviction de l’ego -moi, tout ce que je suis, tout ce que je ne suis pas, mon passé, mon futur, mes relations avec les autres- et cette identification à l’ego est une illusion dont on peut s’éveiller. Telle est la réponse ultime…

ARNAUD DESJARDINS

LA PAIX TOUJOURS PRESENTE

santé psychique et santé spirituelle

Editions: LA TABLE RONDE

Amitiès: Claude Sarfati