Mon voyage aux frontières de la psychologie

Le fumiste n’est pas celui qui plonge dans le mystère, mais celui qui refuse d’en sortir.  (CHESTERTON)

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Il faut quelques heures pour voler de la Baltique à la Méditerranée. Mes étapes furent courtes. Mais, mesurées sur une carte du monde intellectuel, elles furent énormes. J’ai voyagé l’été dernier en Europe, de la psychanalyse moderne à l’acupuncture chinoise, de la télépathie aux drogues psycho chimiques; plus profond encore était l’abîme entre ces recherches et  « la réalité ultime » dont m’a parlé Krisnamurti, de passage en Occident. Et pourtant, ces univers incommensurables coexistent dans le faible volume du cerveau humain. En fait ou en puissance, ils sont également nos univers. Quelle formidable machine que l’homme!

La conférence de Saint-Paul-de-Vence était organisée par la fondation de parapsychologie (1), dont la présidente est l’intelligente et infatigable Mrs. Eileen Garrett. Il y avait quatre psychiatres, Italiens et Suisses, un endocrinologue parisien, un autre Français spécialiste de la médecine psychosomatique, l’éminent neurologue anglais Gray Walter (2), et un jeune parapsychologue américain, activement engagé dans la recherche et l’expérimentation. Un bon nombre de communications furent produites: sur des cas de rapport télépathique entre le médecin et le malade; sur une série d’expériences semblant prouver que les rêves d’un dormeur peuvent être affectés télépathiquement; sur un instrument nommé « pléthysmographe« , utilisé pour enregistrer les changements organiques provoqués, au niveau inconscient, par des stimulations télépathiques. Ces comptes rendus de recherches suisses et américains furent précédés d’une conférence sur les travaux réalisés en Russie voici vingt-cinq ans, mais publiés et discutés à une époque très récente.

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 (1) La parapsychologie étudie les phénomènes non admis par la psychologie officielle, tels que la clairvoyance ou la télépathie. Il existe une chaire de parapsychologie à l’université d’Utrecht. Consulter les livres d’ensemble de Robert Amadou: « La parapsychologie » (Ed, Denoël). Les travaux des congrès internationaux comme celui de St-Paul-de-Vence sont publiés en français (Ed. I.M.I., 1, place Wagram, Paris).

(2) Un des plus grands spécialistes de la physiologie du cerveau. Selon Gray Walter, l’homme n’utilise, même pour les opérations les plus complexes, qu’une partie de son cerveau. Le reste appartient aux « zones silencieuses » encore inexplorées. Quand nous saurons stimuler ces zones silencieuses, peut-être découvrirons-nous d’infinies possibilités de l’esprit. C’est ce qu’affirme Gray Walter dans « Further Outlook ». Voir aussi son grand ouvrage traduit en français: « Le cerveau vivant » (N.R.F).

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Quelle formidable machine que l’homme!

Article d’Aldous Huxley

Revue Planète  (1962)

Amitiés: Claude Sarfati

La psychologie peut-elle contribuer a la paix?

 

De France, d’Italie, de Suisse, ou plutôt du lointain univers de la perception extra-sensorielle, du très lointain univers de l’expérience visionnaire, du plus lointain univers de l’illumination libératrice, nous atterrîmes à Copenhague, plus précisément au Congrès de Psychologie Appliquée.

Qu’est-ce que la Psychologie Appliquée? Il est plus facile de demander: qu’est-ce qui n’est pas de la Psychologie Appliquée?

Réponse: a peu prés rien de ce qui concerne, du moins, le comportement individuel (statistiquement) normal. Ce vaste sujet était discuté, à Copenhague, par 1.300 délégués, qui écoutaient deux ou trois cents communications sur tous les problèmes concevables, depuis « Le dessin comme Expression de l’Estime de Soi » jusqu’à « Recherche Sociale dans l’Antarctique ».

Le monde est plein de tant de choses, les universités, pleines de tant de psychologues, que je ne peux guère rendre justice à tout ce qui fut dit et lu à Copenhague. Je me bornerai donc à la plus importante des questions, à celle, hélas! qui fut le moins expertement traitée, Est-ce que la psychologie peut contribuer à la détente internationale, à la solution des conflits, au maintien de la paix?

La conférence d’ouverture, faite par le professeur Osgood, ainsi que les textes lus le lendemain étaient pleins de suggestions intelligentes et humaines. On écoutait avec approbation, mais en même temps avec un doute obsédant. Est ce que les suggestions intelligentes et humaines seraient acceptées? Dans le climat historique et idéologique actuel, pouvaient-elles seulement être entendues? Il est évident que, comme le disait le docteur Baumgarten-Tramer, il existe une urgente nécessité d’appliquer les données de la psychologie au gouvernement des hommes. Mais est-il probable que les quelques douzaines de politiciens, de généraux, de technologues, à la merci desquels se trouvent les 2.900 millions d’humains, consentiront à aller à l’école et à apprendre la si indispensable psychologie des dirigeants? Ces quelques hommes monstrueusement puissants, maîtres des destins de l’espèce, sont eux-mêmes les prisonniers de traditions politiques et philosophiques qui, poussant sur le terrain de l’idolâtrie nationaliste et dogmatisme idéologique, ont inévitablement produit la guerre.

Le névropathe est un individu qui répond à la situation présente par des réactions obsessionnelles, orientées vers un passé maladivement persistant. Aussi longtemps que les sociétés obéissent à de vieilles notions fausses, fossilisées en dogmes, elles manifestent les symptômes d’une névrose collective, et les quelques hommes puissants entre les mains desquels l’humanité se débat sont les premières victimes de cette aliénation qui aveugle sur les réalités présentes.

Autrefois, quand le changement technologique et démographique était lent, les sociétés pouvaient s’offrir le luxe de la névrose collective. Aujourd’hui, le comportement politique dicté par l’obsession du passé, autrement dit par les vénérables traditions périmées, par les vieux concepts stupides, ou véritablement diaboliques, élevés au rang de principes imprescriptibles, est de nature tragiquement impropre à administrer le monde.

Quelle formidable machine que l’homme!

Article d’Aldous Huxley

Revue Planète 1962.