un dialogue avec soi-même (4)

… Je voudrais donc comprendre le pourquoi de mon sentiment de solitude, car c’est lui qui est cause de mon attachement. Il m’a contraint à fuir, en me raccrochant à ceci ou à cela; et tant qu’il persistera, cette succession de réactions en chaîne se reproduira.

Qu’est-ce que se sentir délaissé?

Comment en arrive-t-on là?

Le sentiment de solitude est-il instinctuel, ou héréditaire?

Ou résulte-t-il de mon activité quotidienne?

Dans les deux premiers cas, il est inscrit dans ma destinée et je n’y suis pour rien. Comme je n’accepte pas cette explication, je la met en doute, et demeure avec mon interrogation. J’observe, sans essayer de trouver une réponse intellectuelle.

Je n’essaie pas de dire au sentiment de solitude ce qu’il devrait faire, ni ce qu’il est: je l’observe pour que lui-même me le dévoile. Un état d’attention vigilante s’instaure pour que lui se révèle.

Il ne se révélera pas si je fuis; si j’ai peur; si je lui résiste.

Alors je l’observe.

Je l’observe, de sorte qu’aucune pensée ne fait irruption. L’observation est beaucoup plus importante que l’immixtion de la pensée.

Et comme toute mon énergie est centrée sur l’observation de ce sentiment de solitude, la pensée n’intervient pas du tout. L’esprit est confronté à un défi, et il doit y répondre. Ce défi le met en état de crise.

En situation de crise on développe une immense énergie et celle-ci se maintient sans ingérence de la pensée. Il y a là un défi qui exige une réponse.

J.Krishnamurti (extrait d’une discussion qui eut lieu lors du Brockwood Park Gathering, le 30 août 1977)

un dialogue avec soi-même (3)

… Je me dis: « Que dois-je faire pour être libre de tout attachement? » A quel mobile est-ce que j’obéis quand je veux être libre de tous liens.

N’est-ce pas au désir de parvenir à un état où il n’y a ni attaches, ni crainte, et ainsi de suite?

 Et tout à coup je me rends compte que tout mobile dicte une orientation et que celle-ci ne pourra que peser sur ma liberté.

Pourquoi avoir un mobile? Qu’est-ce qu’un mobile? Un mobile est un espoir, ou un désir, de réaliser quelque chose.

 Je constate que je tiens à un mobile.

 Outre ma femme, mon idée, la méthode, voici que mon mobile est lui aussi devenu objet de mon attachement!

 Ainsi, je fonctionne tout le temps dans la sphère de l’attachement à l’épouse, à la méthode et au mobile qui me pousse à atteindre un objectif ultérieur.

 A tous trois, je suis attaché.

 Je m’aperçois que j’ai abordé une question de la plus haute complexité; je ne m’étais pas rendu compte qu’être libéré de l’attachement impliquait tout cela.

 Maintenant je le vois tout aussi clairement que les autoroutes, les routes communales et les villages marqués sur une carte; rien ne m’apparaît plus évident.

Alors je me dis:  m’est-il possible d’être libre de ce grand attachement que j’éprouve à l’égard de ma femme, comme à l’égard de la récompense que je pense obtenir, et à l’égard de mon mobile? 

 Je tiens à tout cela.

Pourquoi?

 Est-ce parce que j’ai un épouventable sentiment de solitude, auquel je cherche à échapper en m’accrochant à une femme, à une idée, à un mobile, comme s’il me fallait me cramponner à quelque chose?

C’est bien cela; je suis solitaire et j’échappe à ce sentiment d’isolement extrême en m’attachant à quelque chose.

J.Krishnamurti (extrait d’une discussion qui eut lieu lors du Brockwood Park Gathering, le 30 août 1977)

un dialogue avec soi-même (2)

… Au début, je cherche à fuir la question. Je ne sais pas où tout ça pourrait me mener avec ma femme. Si je me détache vraiment d’elle, nos relations risquent de changer. Elle pourrait me rester attachée, tandis que moi je ne le serais plus, ni à elle ni à une autre femme. Néanmoins, je vais m’enquérir. C’est à dire que je ne vais pas fuir ce que j’imagine pouvoir être les conséquences d’une libération totale de tout attachement. Je ne sais pas ce qu’est l’amour, mais je vois très clairement, avec une certitude absolue, que l’attachement que je porte à ma femme va de pair avec la jalousie, avec l’esprit de possession, avec la crainte et l’anxiété, je veux être libre de tout cela.

Alors je commence mon enquête; je cherche une méthode, et je me fais piéger par un système. Un quelconque gourou dit: « je vais vous mettre sur la voie du détachement, faites ceci et cela; adonez-vous à tel ou tel exercice ». J’accepte ce qu’il me dit sachant combien il importe d’être libre et parce qu’il me promet qu’en suivant la ligne de conduite qu’il me fixe j’aurai ma récompense. Je constate alors, qu’en agissant ainsi, je suis en quête d’une récompense. Je découvre ma sottise: Voulant être libre, je m’attache à l’espoir d’une récompense.

Je ne veux pas me lier, or, me voici prêt à m’attacher à l’idée que quelqu’un, quelque livre ou quelque méthode me récompensera en me libérant de l’attachement. Ainsi la récompense devient une chaîne. Alors je me dis: « regarde ce que tu as fait; fais attention; ne te laisse pas prendre à ce piège ». Qu’il ait pour objet une femme, une méthode ou une idée, ce n’en est pas moins de l’attachement. A ce stade, je suis très attentif, car j’ai appris quelque chose; j’ai appris à ne pas renoncer à un attachement au profit d’autre chose, qui se révèle être encore un attachement.

J.Krishnamurti

(extrait n°2 d’une discussion qui eut lieu lors du Brockood Park Gathering, le 30 août 1977)

un dialogue avec soi-même (1)

Je me rends compte qu’il ne peut y avoir amour quand il y a jalousie, qu’il ne peut y avoir amour quand il y a attachement.

Mais peut-on être libre de jalousie et d’attachement?

je m’aperçois que je n’aime pas. Cela est un fait.

Pourquoi me moquer de moi-même; pourquoi prétendre à ma femme que je l’aime. Je ne sais pas ce qu’est l’amour.

En revanche je sais fort bien que je suis jaloux, et je sais que je suis terriblement attaché et que, dans l’attachement, il y a de la crainte, il y a de la jalousie, de l’angoisse; il y a un sentiment de dépendance.

Je n’aime pas être dépendant, mais je le suis parce que je me sens solitaire. On me bouscule au bureau, à l’usine et, et quand je reviens chez moi, je peux trouver du réconfort, une présence; je veux échapper à moi-même.

Alors je me demande: Comment puis-je être libre de cet attachement?

je parle d’attachement à titre d’illustration, comme je pourrais parler d’autre chose…

Un dialogue avec soi-même, J. Krishnamurti

extrait (n° 1) d’une discussion qui eut lieu lors du Brockwood park Gathering, le 30 août 1977

L’observation de soi

L’observation de soi est très difficile. Plus vous essaierez, plus vous vous en rendrez compte.

Pour le moment, vous ne devez vous y exercer, non pas en vue d’un résultat, mais pour comprendre que vous ne pouvez pas vous observer. Jusqu’ici vous avez imaginé vous voir et vous connaître.

Je parle d’une observation de soi objective. Objectivement, vous n’êtes pas capable de vous voir, même pour une minute, parce qu’il s’agit là d’une fonction différente: la fonction du maître.

Si vous croyez pouvoir vous observer pendant cinq minutes, c’est faux; que ce soit vingt minutes ou une minute, c’est égal. Si vous constatez simplement que vous ne pouvez pas vous observer, alors vous avez raison. Votre but est d’y parvenir.

Pour atteindre ce but, vous devez essayer et essayer encore. Si vous essayer, le résultat ne sera pas l’observation de soi dans le plein sens du mot. Mais le fait même d’essayer fortifiera votre attention. Vous apprendrez à mieux vous concentrer. Tout cela vous sera utile plus tard. C’est seulement plus tard que vous pourrez commencer à vous rappeler vous-même véritablement.

Aujourd’hui, vous ne disposez que d’une attention partielle, venant par exemple du corps, ou du sentiment.

Si vous travaillez consciencieusement, vous vous rappellerez vous-même, non pas davantage, mais moins, parce que le rappel de soi est de plus en plus exigeant. Ce n’est pas si facile, si bon marché.

L’exercice de l’observation de soi suffit pour des années. Ne tentez rien d’autre. Si vous travaillez consciencieusement, vous verrez ce dont vous avez besoin.

New York, 13 mars 1924.

Georges Ivanovitch Gurdjieff

Gurdjieff parle à ses élèves

Editions du Rocher

Amitiés, bon dimanche: Claude Sarfati.