Ce qui est merveilleux

Sans vouloir anticiper en rien sur les progrès possibles de cette compréhension, nous pouvons dire cependant que ce qui nous apparaît clairement dans notre étude de l’immense Univers, c’est l’unité et l’harmonie de celui-ci. Unité structurale: Unité de Matière et Esprit: ces deux concepts ne sont également que des aspects différents du même Univers; quand la durée s’écoule, on passe continûment de l’un des aspects vers l’autre. Il ne fait aucun doute que la structure psychique pourra se définir un jour avec la même précision que la structure matérielle (peut-être le psychisme est-il la partie « anti » de notre Univers).

Unité des points de vue ou des « cartes » que l’on peut tracer au sujet de cet Univers; on a vu se concilier les concepts de continu et de discontinu: le premier décrit le Réel, le second exprime la Connaissance de ce Réel par l’intelligence humaine. La même synthèse conciliait les points de vue ondulatoire et corpusculaire, Une théorie unitaire semble possible où les points de vue si importants de la Relativité Générale et de la Théorie Quantique se trouveront également enfin associés. Les théories de Lamarck et de Darwin, on le sait, viennent se rejoindre dans une analyse plus large de l’idée d’évolution. Et qui n’apercevra clairement dans les nouvelles idées exprimées par Teilhard de Chardin, une grande possibilité de concilier les différents points de vue exprimé sur la Philosophie, la Métaphysique et les différentes Religions? Ne voit-on pas apparaître là les premiers fondements d’une science « cosmique » unique, d’une Physique cosmique, d’une Religion cosmique?

Unité enfin de l’Univers entier lui-même qui se présente à nous comme une entité « finie » et qui laisse transparaître, sous-jacente en chaque point, l’Unité de cette grande force de la Nature qui a choisi pour nous et avec nous ce qui constitue notre passé, notre présent et notre avenir.

« Ce qui est extraordinaire dans l’Univers, écrivait Albert Einstein, ce n’est pas tant qu’il soit compréhensible à l’homme, c’est qu’il puisse être compréhensible. » Il voulait dire par là que cet Univers aurait pu être quelque chose d’incohérent. L’intelligence de l’Homme est si efficace qu’elle aurait sans doute quand même pu constater et décrire cette incohérence: mais ce qui est merveilleux, c’est que notre Univers apparaisse au contraire parfaitement cohérent et, en définitive harmonieux.

Nous ne sommes pas très loin de pouvoir tendre la main, au-dessus des siècles, à Pythagore et son école qui avaient cherché à construire une grande synthèse de l’Univers sur la base de Lois-Harmonie. Car qui n’aperçoit cette Harmonie de la Nature, de ses lois, de ses initiatives microscopiques? Celui qui se penche  attentivement sur le miroir de la réalité extérieure distingue avec émerveillement, au-delà de quelques laideurs dont les contingences de l’activité purement humaine sont entachées, la grande, l’immense, la sereine Beauté des choses de la Nature. Celui qui a su découvrir ces merveilles relève la tête, ayant puisé dans le sein de l’Univers une réserve intarissable de confiance et de tolérance.

« Homme, ne crains rien, disait Hugo. La nature sait le grand Secret et sourit. »

Jean Charon

Revue PLANETE (1961 / 1962)

Amitiés: Claude Sarfati

Vers un changement d’état

L’autre dimension de l’Œuvre divine est étrangère aux nôtres mais non pas abstraite puisqu’elle plonge dans les profondeurs du ciel. La seconde humanité, « selon l’esprit », est engendrée comme la première mais non pas par la « poussière » ni par la « semence » terrestre, la « semence » spécifique. Elle naît de la Parole, du Verbe d’En-Haut, de l’Amour et non plus seulement du désir. Ainsi l’Esprit opère par une effusion de ses puissances jusqu’à réaliser le passage du naturel au surnaturel ce qui exige une mutation réelle et concrète de l’ensemble de l’humanité aussi bien qu’une transformation intellectuelle, morale et spirituelle. C’est pourquoi dans « Le Phénomène Spirituel », le P. Teilhard assimile la spiritualisation à un véritable changement d’état cosmique, ce qui exige aussi une métamorphose intégrale de la matière telle que nous pouvons l’observer.

Ainsi, considérant l’immensité unité du Tout, le P. Teilhard en déduit une conséquence très hardie mais logiquement et « économiquement » nécessaire, à savoir que la Morale représente l’aboutissement supérieur de la Mécanique et de la Biologie, le Monde se construisant finalement par des puissances morales et la Morale ayant pour fonction essentielle d’achever la construction du Monde, de l’Edifier.

Cette conception teilhardienne dépasse de beaucoup les limites étroites de l’intérêt de l’individu et de la société en fonction desquels, jusqu’à présent, a été comprise la valeur morale. Le P. Teilhard n’hésite pas à opposer la morale du mouvement de spiritualisation à la morale classique de l’équilibre de systèmes soucieux de se maintenir par une limitation arbitraire de l’énergie vivante. Il y a là les fondements d’une dialectique et d’une éthique qui peuvent changer la plupart de nos jugements et nos échelles de valeur. Quels qu’en soient les dangers ils ne sauraient être plus graves que ceux qu’implique actuellement la sclérose évidente du processus de spiritualisation de l’humanité.

Source: Les deux clés de Teilhard de Chardin par Thomas Thibert

Revue PLANETE  OCT/ NOV 1961

Le lieu d’origine de l’humanité?

Après ses explorations asiatiques, le P. Teilhard devait, dans les dernières années de sa vie, dégager pleinement les conséquences de nouvelles recherches entreprises en Afrique. Selon toute apparence, l’homme fossile était, relativement, un nouveau venu en Europe et en Asie. Par contre, il se révélait sur le continent africain comme étant autochtone. Le lieu d’origine de l’humanité devait donc être recherché en Afrique et, probablement, dans la région du Kenya. Enfin, la comparaison du continent africain avec l’américain, le rapprochement opéré au contact des faits entre la structure génétique des faunes et celle des continents, donnaient des arguments positifs à la thèse d’une structure génétique de l’humanité considérée comme une unité biologique d’ampleur planétaire, ce qui résume cette note singulière du P. Teilhard, datée de 1953:

 » Impression: Mer = (Immense holocauste)… = Enorme masse biologique avec taux de conscience faible. Continentalisation et Conscientisation. Homme: fonction des continents, de granitisation… »

Dans ce passage caractéristique d’un style et d’une pensée, comme en bien d’autres aspects de l’œuvre du P. Teilhard, se dévoile la première Clef de celle-ci, la clef scientifique et qui est l’Organicisme.

Source: Les deux clés de Teilhard de Chardin par Thomas Thibert

Planète OCT / NOV 1961.

Amitiés: Claude Sarfati

L’homme d’après l’homme…

Avouons cependant que, dans le domaine religieux, le P. Teilhard avait quelque raison d’admettre que ses supérieurs hiérarchiques connaissaient aussi bien, sinon mieux que lui, les textes de saint Paul et qu’ils ne jugeraient pas que des théories directement inspirées par cet enseignement traditionnel par excellence seraient estimées dangereuse pour la foi chrétienne.

Pourtant ce n’est pas sans surprise que l’on constate sur ce point que les adversaires du P. Teilhard ne semblent pas avoir compris que toute la pensée religieuse qu’ils croyaient devoir censurer dépendait d’un clef, aussi précise que l’organicisme sur le plan scientifique. Cette seconde Clef de l’œuvre du P. Teilhard est la conception paulinienne de l’ OIKONOMIA « , l’  » économie « du mystère. Ne s’agit ‘il pas, en effet, dans l’essentiel des thèses teilhardiennes, « de mettre en lumière l’économie du Mystère depuis les siècles en Dieu qui a tout créé, afin que soit maintenant connue aux puissances et aux principautés dans le ciel, la multiple sagesse de Dieu, selon cette disposition qu’il a prise depuis toujours en le CHRIST-Jésus Notre Seigneur (Epître aux Ephésiens).

En effet, le mot grec  » OIKONOMIA  » signifie le plan de l’Œuvre Divin, sa « dynamique » propre et qui tient entre deux limites clairement indiquées par saint Paul dans la première lettre aux Corinthiens (XV, 45): il est écrit (Genèse II, 7): « Le premier homme, Adam, devint une âme vivante ». Le dernier Adam sera un esprit vivifiant. Mais ce n’est pas le spirituel qui est premier, mais le psychique (l’animé), ensuite, le spirituel. Le premier homme est de terre, fait de poussière; le deuxième homme est  du Ciel.

Il est, certes, fondamental d’observer que, dans la Bible, l’expression: « Ame vivante » est appliquée aux animaux eux-mêmes. En d’autres termes, c’est une affirmation constante dans la tradition judéo-chrétienne que tout ce qui appartient à l’ordre BIOLOGIQUE est COMMUN à l’homme et aux autres règnes; l’animation, au sens biblique, est LA FONCTION  » SELON LA CHAIR ». Dans la mesure où le psychique est coextensif au biologique, l’un n’est que l’avers d’une médaille dont l’autre demeure le revers.

Or, le biologique étant issu du géologique, ses racines se trouvent dans la terre, dans « la poussière », terme qui doit être compris ici comme « la semence ». Entre la granitisation des continents et le lent processus de « conscientisation », au sens teilhardien, il n’y a que des différences de niveaux d’émergence mais non pas d’essence. Ce qui est « selon la chair » est nécessairement selon la Terre.

Souce: Les deux clés de Teilhard de Chardin par Thomas Thibert

Revue PLANETE  OCT / NOV 1961

Amitiès: Claude Sarfati.

 

Une Physique et une Philosophie Nouvelles

Le propre de l’organicisme, théorie à laquelle est attaché surtout le nom du grand biologiste Ludwig Von Bertalanfly, est de se distinguer du Mécanisme et du Vitalisme par de nombreux points mais notamment en ce qui concerne l’affirmation que la conscience n’est pas un épiphénomène ni un méta phénomène. Telle est aussi, presque textuellement, la position prise par Pierre Teilhard de Chardin dans un ouvrage encore inédit: « Le phénomène spirituel« :

« Je me propose dans ces pages de développer une troisième perspective vers laquelle semblent converger de nos jours une Physique et une Philosophie nouvelles: à savoir que l’Esprit n’est ni un surimposé, ni un accessoire dans le cosmos mais qu’il représente tout simplement l’état supérieur pris en nous et autour de nous par la chose première, indéfinissable et que nous pouvons appeler, faute de mieux, « l’étoffe de l’Univers ». Rien de plus; mais aussi rien de moins. L’esprit n’est ni un méta, ni un épiphénomène: il est LE phénomène. »

Ce sont là non pas des hypothèses philosophiques mais les  conclusions d’une théorie scientifique et d’un grand nombre d’expériences menées en des domaines divers. Pierre Teilhard de Chardin n’a pas inventé les principes de l’organicisme. Déjà, comme Driesh en Allemagne, le célèbre physiologiste anglais J.S Haldane avait repoussé la théorie mécaniciste de la vie et proposé de voir des phénomènes vitaux, considérant qu’en principe, ceux-ci ne pouvaient pas être décrits en termes physico-chimiques. Lloyd Morgan, rappelant le fait que les parties tiennent du tout leurs propriétés caractéristiques et qu’elles le perdent lorsque ce tout est détruit, considérait que cette dépendance constituait  la propriété principale d’un organisme proprement dit. Selon Morgan, chaque niveau observable – Electron, atome, molécule, unité colloïdale, cellule Tissu, organe, organisme pluricellulaire et société d’organismes – acquiert dans ce qu’il nomme l’ « évolution émergente », des caractères nouveaux et qui transcendent ceux des systèmes subordonnés. Le mathématicien Whitehead a défini, d’ailleurs, l’entité véritable comme un organisme dans lequel le plan de l’ensemble influe sur les caractères des systèmes subordonnés. La matière vivante n’a pas le monopole d’être une entité, au sens de Whitehead. Entre les molécules vivantes que sont les virus et les édifices moléculaires de la microphysique, les relations de structure sont assez proches pour que l’on soit en droit de considérer l’atome comme un organisme plutôt que comme une machine.

Ainsi, des principes semblables et parfois identiques émergent peu à peu de l’observation des objets dits « inanimés », des organismes, des groupes sociaux et des processus mentaux. Pour n’en citer qu’un exemple, le principe de moindre action est à l’œuvre dans des disciplines les plus éloignées, depuis la mécanique de l’électricité, sous la forme de la loi de Lenz, jusqu’aux théories des populations, selon celle de Volterra.

Dans ces conditions, les conceptions du P. Teilhard sur le phénomène spirituel, sur le processus de moralisation et de personnalisation ne sont pas suspendues dans les régions nébuleuses de l’invérifiable et elles sont le plus souvent fondées expérimentalement et scientifiquement dans le terrain neuf et fécond de l’organicisme moderne.

Si le P. Teilhard s’abstient, le plus souvent, de rappeler ces faits et ces théories, c’est qu’il les suppose connus et qu’il prête à ses lecteurs, trop généreusement parfois, une culture scientifique égale à la sienne.

Source: Les deux clés de Teilhard de Chardin par Thomas Thibert

Planète OCT / NOV 1961.

Amitiés: Claude Sarfati