Chapitre VI. ‘Solve“ et ‘coagula“

La formule ‘solve“ et ‘coagula“ est regardée comme contenant d’une certaine façon tout le secret du Grand oeuvre, en tant que celui-ci reproduit le processus de la manifestation universelle.

Le terme ‘solve“ est parfois représenté par un signe qui montre le Ciel, et le terme ‘coagula“ par un signe qui montre la Terre. Solve peut être assimilé au courant ascendent (yang) et coagula au courant descendant (yin).

Les ‘condensations“ procèdent des influences terrestres, et les dissipations procèdent des influences célestes.

L’ordre yin-yang peut être envisagé de deux manières. Si l’on part de l’état de non-manifestation pour passer au manifesté

(le point de vue cosmologique), c’est la condensation (coagulation) qui se présentera naturellement en premier lieu, pendant que la dissipation (solution) viendra ensuite.

Si au contraire l’on part de la manifestation on devrait envisager d’abord la tendance aboutissant à la solution de ce qui est dans cet état, pendant qu’une phase ultérieure de coagulation serait le retour à un autre état de manifestation.

il faut d’ailleurs ajouter que cette «solution» et cette «coagulation», par rapport à l’état antécédent et à l’état conséquent respectivement, peuvent être parfaitement simultanées en réalité.“ (p. 56)

toute attraction produit un mouvement centripète, donc une «condensation», à laquelle correspondra, au pôle opposé, une «dissipation» déterminée par un mouvement centrifuge, de façon à rétablir ou plutôt à maintenir l’équilibre total.“ (p. 58)

Ce qui est ‘condensation“ sous le rapport de la substance est au contraire une ‘dissipation“ sous le rapport de l’essence, et inversement, ce qui est ‘dissipation“ sous le rapport de la substance est une ‘condensation“ sous le rapport de l’essence.

toute «transmutation», au sens hermétique de ce terme, consistera proprement à «dissoudre» ce qui était «coagulé» et, simultanement, à «coaguler» ce qui était «dissous», ces deux opérations apparemment inverses n’étant en réalité que les deux aspects complémentaires d’une seule et même opération.“ (p. 58)

L’état qui est vie pour le corps est mort pour l’esprit et inversement.

Dans l’initiation a lieu un ‘retournement“. C’est ce que le symbolisme kabbalistique désigne comme le «déplacement des lumières», et aussi ce que la tradition islamique met dans la bouche des awliyâ: ‘Nos corps sont nos esprits, et nos esprits sont nos corps.“ (ajsâmnâ arwâhnâ, wa arwâhna ajsâmnâ).

Les opérations de ‘coagulation“ et de ‘solution“ correspondent à ce que la tradition chrétienne désigne comme le ‘pouvoir des clefs“ ‘ celui de ‘lier“ et de ‘délier“ (potestas ligandi et solvendi).

La figuration du pouvoir des clés est celle d’une clé en or (correspondant au pouvoir spirituel) et une clé en argent (correspondant au pouvoir temporel).

On peut dire que le pouvoir de ‘lier“ correspond au pouvoir temporel, pendant que celui de ‘délier“ au spirituel. Le temporel et le spirituel sont yin et yang l’un par rapport à l’autre.

Les clés peuvent être représentées dans le swastika clavigère, dont chacun des quatre branches peuvent être représentées d’une clef.

Son axe verical ou solsticial se rapporte à la fonction sacerdotale,

et l’axe horizontal ou équinoxial à la fonction royale.

Le terme spagyrie, qui désigne la médecine hermétique, exprime formellement, par sa composition, la double opération de « solution» et de «coagulation»; l’exercice de la médecine traditionnelle est, dans un ordre particulier, une application du «pouvoir des clefs».

Le pouvoir des clefs correspond au double pouvoir de vajra (hindoue) et dorje (tibétain). Les deux sont figurés par la foudre. Vajra est symbole yang, et son complémentaire féminin est, dans la tradition hindoue, la conque (shankha), et dans la tradition tibétaine la clochette rituelle (dilbu).

le pouvoir du vajra, ou le «pouvoir des clefs» qui lui est identique au fond, impliquant le maniement et la mise en ?uvre des forces cosmiques sous leur double aspect de yin et de yang, n’est en définitive rien d’autre que l e pouvoir même de commander à la vie et à la mort.“ (p. 64)

Les deux solstices s’assimilent au Nord (celui d’hiver) et au Sud (celui d’été), pendant que les deux équinoxes s’assimilent à l’Est (printemps) et à l’Ouest (automne).

Le pouvoir de provoquer des orages a été considéré, chez les peuples les plus divers, comme une sorte de conséquence de l’initiation.

René Guénon, La grande triade (extraits)

Chapitre V. La double spirale

Le symbole de la double spirale est étroitement connexe de celui du yin-yang. Il se trouve dans l’art traditionnel des pays les plus divers.

Toute ornementation a originairement un caractère symbolique.

La double spirale est l’élément principal de certains talismans très répandus dans les pays islamiques. Il existe une relation avec les deux sens de rotation du swastika, qui expriment la même double action de la force cosmique.

Dans l’être humain il y a deux lignes, les deux nâdîs ou courants subtils de droite et de gauche, ou positif et négatif (idâ et pingalâ).

Une autre figuration est celle des deux serpents du caducée (kêrukeion, indigne des hérauts).

L’Axe du Monde et l’axe de l’être humain (la colonne vertébrale) sont également désignés, en raison de leur correspondance analogique, par le terme Mêru-danda.

L’œuf du Monde se rapproche du symbolisme du serpent, comme dans le Kneph égyptien est représenté sous la forme d’un serpent qui produit l’oeuf par la bouche.

Dans l’art chinois, la forme de la spirale apparaît notamment par la figuration du «double chaos», des eaux supérieures et inférieures (c’est-à-dire des possibilités informelles et formelles), souvent en rapport avec le symbolisme du Dragon.

Le symbole du cygne est la combinaison de celui du serpent avec celui de l’oiseau. L’oeuf du monde peut être un œuf de serpent, mais aussi un œuf de cygne.

Hamsa, le véhicule de Brahmâ, est un cygne. Dans la tradition grecque, le symbolisme du cygne était lié à celui de l’Apollon hyperboréen.

Dans les symboles antiques, la double spirale est parfois remplacée par deux ensembles de cercles concentriques, tracés autour de deux points qui représentent encore les pôles.

La catabase est la marche descendante, pendant que l’anabase est la marche ascendante.

La double spiration c’est l’expir et l’aspir universels, par lesquels sont produites les condensations et les dissipations(suivant le langage taoïste), les coagulations et les solutions (suivant la terminologie hermétique), genesis et phtora, génération et corruption (selon Aristote), les jours et les nuits de Brahmâ, comme le Kalpa et le Pralaya.

René Guénon, La grande triade (extraits)

Chapitre IV. «Yin» et «Yang»

Yang: actif, positif, masculin, lumière.

Yin: passif, négatif, féminin, ombre.

Ces deux principes ne sont pas opposés, mais complémentaires. La médecine chinoise est basée sur l’idée de déséquilibre d’un de ceux deux principes.

Yang procède de la nature du Ciel, et yin procède de la nature de la Terre.

L’aspect yang correspond à ce qu’il y a de spirituel et d’essentiel et l’Esprit est identifié avec la lumière dans toutes les traditions.

L’aspect yin est identifié à la substance, à l’inintelligibilité inhérente à son indistinction ou à son état de pure potentialité.

Avec le langage aristotélicien et scolastique, yang est tout ce qui est en acte, pendant que yin est tout ce qui est en puissance.

Le Ciel est entièrement yang et la Terre est entièrement yin, ce qui revient à dire que l’Essence est acte pur et que la Substance est puissance pure.

Dans toute chose manifestée, yang ou yin ne sont jamais purs. Il y a, selon une formule maçonnique, de la lumière dans les ténèbres (du yang dans le yin) et des ténèbres dans la lumière (du yin dans le yang).

Si l’on considère spécialement le yang et le yin sous leur aspect d’éléments masculin et féminin, on pourra dire que, en raison de cette participation, tout être est «androgyne» en un certain sens et dans une certaine mesure, et qu’il l’est d’ailleurs d’autant plus complètement que ces deux éléments sont plus équilibrés en lui; le caractère masculin ou féminin d’un être individuel (il faudrait, plus rigoureusement, dire principalement masculin ou féminin) peut être donc considéré comme résultant de la prédominance de l’un ou de l’autre. (p. 41)

La Terre apparaît par sa face dorsale et le Ciel par sa face ventrale, c’est pourquoi le yin est à l’extérieur et le yang est à l’intérieur.

Autrement dit, les influences terrestre, qui sont yin, sont seules sensibles, et les influences célestes, qui sont yang, échapppent aux sens et ne peuvent être saisies que par les facultés intellectuelles.

Le yin est avant le yang dans une énumération, tout comme les trois gunas hindoues sont tamas, rajas, sattwa, donc allant de l’obscurité à la lumière.

Yang correspond au trait plein. Yin ‘ au trait brisé. Le trait plein et le trait brisé sont des éléments des trigrammes et des hexagrammes du Yi-king.

Le symbole yin-yang représente le cercle de la destinée individuelle“(p. 43).

Il est équivalent de l’Androgyne primordial. Il est aussi l’oeuf du Monde qui, après la séparation, est le Ciel et la Terre.

Il est commode (mais pas totalement vrai) de donner a Tao le nom de Grande Unité.

René Guenon, La grande triade (extraits)

Chapitre III. Ciel et Terre

Le Ciel couvre, la Terre supporte ‘ formule traditionnelle chinoise.

Le nombre de dix mille est pris dans le Taoïsme pour signifier tout l’ensemble de la manifestation universelle.

Au sujet du Ciel qui couvre, il existe un symbolisme identique inclus dans le mot grec Ouranos, équivalent du sanscrit Varuna, de la racine var (couvrir), et aussi dans le latin Caelum, dérivé de caelare (cacher ou couvrir).

Le Ciel s’assimile à la perfection active (Khien) et la Terre s’assimile à la perfection passive (Khouen). Mais aucun n’atteint la perfection au sens absolu. Le Ciel et la Terre sont respectivement principe masculin et principe féminin.

Dans un complémentarisme comme celui-ci, le terme actif est envisagé comme une ligne verticale et le terme passif comme une ligne horizontale.

Au même symbolisme correspondent les deux lettres alif et ba de l’alphabet arabe.

La marche descendente du cycle de la manifestation allant de son pôle supérieur qui est le Ciel à son pôle inférieur qui est la Terre, peut être considérée comme partant de la forme la moins «spécifiée» de toutes, qui est la sphère, pour aboutir à celle qui est au contraire la plus «arrêtée», qui est le cube.

Le Ciel présente au Cosmos une face ventrale, intérieure, et la Terre qui les supporte présente une face dorsale, donc extérieure.

Tien-hia (sous le Ciel) est employé en chinois pour désigner l’ensemble du Cosmos. L’«intériorité» appartient au Ciel et l’«extériorité» appartient à la Terre.

René Guénon, La grande triade (extraits)

Chapitre II. Différents genres de ternaires

Le premier type de ternaire est celui qui comprend un principe premier, dont dérivent deux termes opposés, ou plutôt complémentaires (Purusha et Prakriti dans la tradition hindoue; le Ciel (Tien) et la Terre (Ti) dans la tradition extrême-orientale ‘ mais sans perdre de vue le principe supérieur dont ils sont dérivés).

Le deuxième type est celui où le ternaire est formé par deux termes complémentaires et par leur produit ou leur résultante. C’est à ce genre qu’appartient la Triade extrême-orientale.

Le principe qui unit Tien et Ti s’appelle Grand Extrême (Tai-ki). Il suppose Wou-ki, le Non-Etre ou le Zéro métaphysique. Il s’appelle ausi Tai-i (Grande Unité).

A la fin, le ternaires chinois sont: ê (premier type) Tai-ki, Tien et Ti; ê (deuxième type) Tien, Ti et Jen.

Le Ciel se représente par un cercle. La Terre ‘ par un carré. L’Homme Universel se symbolise par une croix.

Le Ciel et la Terre sont deux désignations pour l’Essence et la Substance universelle. L’Homme Universel est le pont qui les unit.

René guénon,  »La grande triade » (extraits)