Henri Michaux

Extrait de L’espace du dedans, collection NRF, Gallimard.

Henri Michaux, né à Namur (Belgique) le 24.05.1899, mort à Paris le 19.10.1984.

Poéte, écrivain, peintre.

Vers la sérénité

Celui qui n’accepte pas ce monde n’y bâtit pas de maison.

S’il a froid, c’est sans avoir froid. Il a chaud sans chaleur.

S’il abat des bouleaux, c’est comme s’il n’abattait rien ;

mais les bouleaux sont là, par terre et il reçoit l’argent convenu,

ou bien il ne reçoit que des coups.

Il reçoit les coups comme un don sans signification,

et il repart sans s’étonner.

Il boit de l’eau sans avoir soif,

il s’enfonce dans le roc sans se trouver mal.

La jambe cassée, sous un camion, il garde son air habituel et songe à la paix,

à la paix si difficile à obtenir, si difficile à garder, à la paix.

Sans être jamais sorti, le monde lui est familier.

Il connaît bien la mer. La mer est constamment sous lui,

une mer sans eau, mais non pas sans vagues, mais non pas sans étendue.

Il connaît bien les rivières. Elles le traversent constamment,

sans eau mais non pas sans largeur, mais non pas sans torrents soudains.

Des ouragans sans air font rage en lui.

L’immobilité de la terre est aussi la sienne.

Des routes, des véhicules, des troupeaux sans fin le parcourent,

et un grand arbre sans cellulose mais bien ferme mûrit en lui amer, amer souvent, doux rarement.

Ainsi à l’écart, toujours seul au rendez-vous, sans jamais retenir une main dans ses mains,

il songe, le hameçon au coeur, à la paix, à la damnée paix lancinante,

la sienne, et à la paix qu’on dit être par-dessus cette paix.

La nuit remue (1934) L’espace du dedans

Dessin de l’auteur.

5 réflexions au sujet de « Henri Michaux »

  1. Marie-Noelle dit :

    Autres extraits de L’espace du dedans d’Henri Michaux:

    Extraits de tranches de vie in "Face aux verrous" 1954

    – Qui cache son fou, meurt sans voix
    -Qui chante en groupe mettra, quand on le lui demandera, son frère en prison
    – Qui a rejeté ses démons nous importune avec ses anges

  2. Claude dit :

    Bonjour Marie-Noëlle,

    merci pour ce texte court mais dense.

    – Qui à rejeté ses démons nous importune avec ses anges.

    Voilà un espace vaste et souvent vrai dont nous avons tous fais l’éxpérience dans notre vie.

    Je me pose une question,
    L’inverse n’est-il pas vrai aussi?

    – qui à rejeté ses anges nous importune avec ses démons.

    La parpue s’en gratte le crâne…

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