Naviguer dans l’inconnu 1

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Par Daniel Trujillo Rivas.

Mr Castaneda, pendant des années vous êtes resté absolument anonyme. Qu’est-ce qui vous a conduit à changer cette condition et à parler publiquement des enseignements que vous et vos trois compagnons avaient reçus du nagual Juan Matus ?

Ce qui nous a poussé à disséminer les idées de don Juan Matus est un besoin d’expliciter ce qu’il nous a enseigné. Pour nous, c’est une tâche qui ne peut plus être reportée. Ses trois autres étudiantes et moi-même sommes arrivés à la conclusion unanime que le monde que don juan Matus nous a présenté se trouve à l’intérieur des possibilités perceptuelles de tous les êtres humains. Nous avons discuté entre nous de quel pourrait être le chemin approprié à prendre. Rester anonyme de la façon proposée par don Juan ? Cette option était inacceptable. L’autre chemin possible était de disséminer les idées de don Juan : un choix infiniment plus dangereux et épuisant, mais le seul qui, d’après nous, ait la dignité avec laquelle don Juan a imprégné tous ses enseignements.

En considérant ce que vous avez dit  à propos de l’imprévisibilité des actions du guerrier, et que nous avons pu corroborer durant trois décennies, pouvons-nous espérer que cette phase publique dans laquelle vous vous êtes engagée dure un moment ? Et si oui, jusqu’à quand ?

Il n’y aucun moyen pour nous d’établir de critère temporel. Nous vivons en accord avec les prémisses proposées par don Juan et nous n’en dévions jamais. Don Juan Matus nous a donné l’exemple formidable d’un homme qui vivait en accord avec ce qu’il disait. Et je dis que c’est un exemple formidable parce que c’est la chose la plus difficile à imiter ; être monolithique et en même temps avoir la flexibilité de faire face à n’importe quoi. C’était la façon dont don Juan vivait sa vie. A l’intérieur de ces prémisses, la seule chose que l’on peut être est un médiateur impeccable. On n’est pas le joueur dans ce jeu d’échec cosmique, on est seulement un pion sur l’échiquier. Ce qui décide de tout est une énergie consciente impersonnelle que les sorciers appellent l’Intention ou l’Esprit.

D’aussi loin que j’ai été capable de le  corroborer, l’anthropologie orthodoxe aussi bien que les défenseurs présumés de l’héritage de la culture précolombienne d’Amérique sapent la crédibilité de votre travail. La croyance selon laquelle votre travail est simplement le produit de votre talent littéraire qui est par ailleurs exceptionnel continue d’exister aujourd’hui. Il y a également d’autres domaines qui vous accusent d’avoir une éthique double parce que votre manière de vivre et vos activités sont supposément en contradiction avec ce que la majeure partie des gens attendent d’un chaman. Comment pourriez-vous éclairer ces suspicions ?

Le système cognitif de l’homme occidental nous force à nous fier à des idées préconçues. Nous basons nos jugements sur quelque chose qui est toujours « a priori », par exemple l’idée de ce qui est « orthodoxe ». Qu’est-ce que l’anthropologie orthodoxe ? Celle qui est enseignée dans les amphithéâtres d’université ? Pendant trente ans, les gens ont accusé Carlos Castaneda de créer un personnage littéraire simplement parce que ce que j’ai rapporté ne coïncide pas avec l’ « a priori » anthropologique, les idées établies dans les amphithéâtres ou dans le champs de recherche de l’anthropologie. Cependant, ce que don Juan m’a présenté ne peut s’appliquer qu’à une situation qui demande une action totale et, dans ces circonstances, très peu ou presque rien des préconceptions existantes. Je n’ai jamais été capable de tirer des conclusions sur le chamanisme car pour faire cela, on a besoin d’être un membre actif dans le monde des chamans.

Pour un scientifique en sciences sociales, disons par exemple un sociologue, il est très facile d’arriver à des conclusions sociologiques sur n’importe quel sujet relié au monde occidental, parce que le sociologue est un membre actif du monde occidental. Mais comment un anthropologue, qui passe tout au plus deux années à étudier d’autres cultures, peut-il arriver à des conclusions fiables à leur propos ? Il faut une vie entière pour être capable d’acquérir une appartenance à un monde culturel. J’ai travaillé durant plus de trente ans dans le monde cognitif des chamans de l’ancien Mexique et, sincèrement, je ne crois pas avoir obtenu l’appartenance adéquate qui aurait pu me permettre de tirer des conclusions ou même d’en proposer. J’ai discuté de cela avec des gens issus de différentes disciplines et ils semblaient toujours comprendre et être d’accord avec les prémisses que je leur présentais. Mais ensuite, ils me tournaient le dos et ils oubliaient tout ce à quoi ils avaient acquiescé et ils continuaient à soutenir des principes académiques « orthodoxes », sans se soucier de la possibilité qu’il puisse exister une erreur absurde dans leurs conclusions.

Quel est votre objectif en ne permettant pas d’être photographié, ni que votre voix soit enregistrée ou que vos données biographiques soient connues ? Cela affecterait-il ce que vous avez accompli au cours de votre travail spirituel, et si oui comment ? Ne pensez-vous pas qu’il aurait pu être utile pour certains chercheurs sincères de la vérité de savoir qui vous êtes vraiment, comme un moyen de corroborer qu’il est réellement possible de suivre le chemin que vous promulguez ?

En se référant aux photographies et aux données personnelles, les trois autres apprenties de don Juan et moi-même suivons ses instructions. Pour un chaman comme don Juan, l’idée principale derrière la réticence à fournir des données personnelles est très simple. Il est impératif de mettre de côté ce qu’il appelait « l’histoire personnelle ». S’échapper du « moi » est quelque chose d’extrêmement ennuyeux et difficile. Ce qu’un chaman comme don Juan recherche est un état de fluidité où le « moi » personnel ne compte pas. Il croyait qu’une absence de photographies et de données biographiques affecterait de façon positive, bien que subliminale, quiconque entre dans ce champ d’action.

Nous sommes sans arrêt accoutumés à utiliser des photographies, des enregistrements et des données biographiques, tout ce qui jaillit de l’idée de l’importance personnelle. Don Juan disait qu’il était préférable de ne rien savoir à propos d’un chaman ; de cette façon, au lieu de rencontrer une personne, on rencontre une idée qui peut être soutenue ; cela est à l’opposé de ce qui arrive dans le monde de tous les jours, où nous faisons face uniquement à des gens qui ont un grand nombre de problèmes psychologiques mais pas d’idées, toutes ces personnes sont remplies à ras bord de « moi, moi, moi ».

Première partie d’un interview de Carlos Castaneda publié par le magazine: Uno mismo au Chili et en Argentine en février 1997.

Amitiés

Claude Sarfati

MARIA SABINA (1896-1985)

María Sabina Sainte Mère des Champignons Sacrés

extraits de Mushroom Pioneers par John Allen

Plus de 40 ans ont passé depuis que l’éminent ethnomycologue R. Gordon Wasson débarqua dans le petit village Oaxacaïen de Huautla de Jiménez à la recherche de teonanácatl, le champignon magique du folklore Mésoaméricain. L’étude d’une vie des champignons et sa quête actuelle de 3 ans dans les collines autour de Oaxaca touchait à son terme sur le pas de la porte d’une petite hutte de terre dont les murs de boue séchée s’éfritaient et dont le toit de chaume était à moitié enfoncé.

Cette hutte fut de tous temps la demeure de Doña María Sabina, la curandera (Guériseuse) la plus connue de toute l’histoire.

Selon l’anthropologue Joan Halifax (1979), « Pendant des dizaines d’années elle avait pratiqué son art avec des champignons hallucinogènes, et des centaines de malades et de gens souffrants vinrent la voir dans sa misérable hutte pour ingérer les sacrements pendant qu’elle chantait durant toute la nuit devant son autel et dans l’obscurité ».

Etant d’âme noble, Doña María Sabina accueilli Wasson dans sa hutte et partagea les secrets des champignons sacrés. Comment pouvait-elle savoir que ce geste de générosité et de gentillesse simple, innocent, allait changer radicalement sa vie et le cours de l’histoire de manière défnitive.

Malgré les efforts de Wasson pour conserver le secret sur l’identité de Doña María Sabina, l’histoire de la sorcière Mazatèque et de ses champignons merveilleux se répandit en occident comme un feu de paille — depuis les amphithéâtres de Harvard jusque dans les ruelles de l’Amérique urbaine (quand R. Gordon Wasson écrivit pour la première fois dans Life Magazine sur María Sabina et ses veladas (13 Mai 1973), il se référait à elle comme à Eva Mendez, un pseudonyme sensé la protéger des curieux et autres chercheurs d’aventures qui auraient pu déranger ou perturber sa vie et celle de ses proches).

Wasson à Hautla Jimenez

L’histoire de Wasson piqua inévitablement la curiosité de beaucoup de gens. Dans l’espoir que le champignon soit un puissant outil de guerre chimique, la CIA envoya un agent sous couverture à Huautla de Jiménez pour collecter des spécimens (Marks, 1979).

De nouveau, Doña María Sabina partagea son secret. Que pouvait-elle faire d’autre ? Le champignon lui avait montré que les occidentaux ne la laisseraient jamais en paix. Avec réticence elle accepta l’évidence, mais avec chaque profanation des champignons sacrés elle pouvait sentir diminuer ses pouvoirs de guérison.

Elle savait que les occidentaux viendraient par douzaines (médecins, scientifiques, aventuriers, pélerins spirituels), tous à la recherche de la vérité, du salut, de la magie qui guérit, ou même de la face de Dieu. Faisant face à son destin avec résignation, Doña María accepta chaque chercheur las chez elle et réalisa pour eux la velada, la veillée de toute une nuit. Chaque fois elle donnait aux visiteurs ce qu’ils étaient venus chercher. Chaque fois elle donnait une petite partie d’elle-même.

Maintenant tout ce qui reste de Doña María, ce sont des souvenirs, des souvenirs de l’humble femme qui inspira les vies de Tim Leary, Ralph Metzner, Andrez Weil, Johnathan Ott et d’innombrables autres. Au delà de sa mémoire seuls les champignons restent, les petits outils magiques que Doña María avait passé sa vie à maîtriser. Maintenant qu’elle est partie, la seule manière de la retrouver c’est à travers eux, à travers les cérémonies sacrées des magiciens et guérisseurs Mazatèques.

Pouvez-vous vous imaginer son visage, sombre et ciselé avec l’âge ? Pouvez-vous entendre ses chansons et ses chants traversant l’obscurité totale de la nuit ? Son esprit est là dehors, pris dans une spirale sans fin de toutes les couleurs, de sagesse et de beauté. Son fantôme attend d’être entendu. Tendez simplement l’oreille …

ENFANCE

Wasson (Estrada 1976) rapporta que María Sabina était née le 17 Mars 1894. Selon les archives de la paroisse María fut baptisée exactement une semaine après sa naissance. Sa mère María Concepción dit que la naissance de sa fille fut le jour de la Vierge Magdalène (22 Juillet).

Selon des témoignages oraux donnés au Señor Alvaro Estrada, Doña María consomma pour la première fois les champignons sacrés avec sa soeur María Ana à un âge précoce (peut-être quelque part entre 7 et 9 ans). Doña María Sabina rappela qu’elle et sa soeur étaient dehors dans les bois surveillant les animaux de la famille quand elles s’arrêtèrent sous un arbre pour jouer avec les ombres comme les jeunes enfants le font souvent entre eux quand il n’y a pas d’adultes autour.

María regarda par terre et remarqua plusieurs champignons magnifiques poussant sous l’arbre. Elle réalisa que c’etaient les mêmes champignons utilsés par un curandero local, Juan Manuel, pour soigner les malades.

Doña María se pencha à terre et ramassa avec beaucoup de soin plusieurs champignons en s’exclamant « si je vous mange, toi et toi, je sais que vous me ferez chanter merveilleusement ». Elle les mastica doucement et les avala, poussant ensuite sa soeur María Ana à faire de même. Progressivement, la jeune María commenca à réaliser que les champignons contenaient une magie très puissante, une qu’elle n’oublierait jamais.

Durant les mois qui suivirent Doña María et sa soeur consommèrent les champignons plusieurs fois. Une fois leur mère les trouva en train de chanter et de rire gaiement et leur demanda « Qu’avez-vous fait ? ». Pour autant, elle ne fut jamais réprimandée pour avoir mangé les champignons parce que sa mère savait que réprimander peut entrainer des émotions contraires.

Selon Joan Halifax (1979), Doña María avait 8 ans quand son oncle tomba malade. De nombreux chamanes des Sierras environnantes autour de son village avaient essayé de le soigner avec différentes herbes, mais cela n’avait fait qu’empirer sa situation. Doña María se souvînt alors que les champignons qu’elle avait mangé en jouant avec sa soeur lui avaient dit de venir les chercher si jamais elle en avait besoin et qu’ils pourraient lui dire quoi faire si elle avait besoin d’aide.

Doña María alla collecter les champignons sacrés et retourna à la maison de son oncle où elle les mangea. Immédiatement Doña María fut entrainée dans le monde des champignons. Elle leur demanda ce qui n’allait pas avec son oncle et ce qu’elle pouvait faire pour l’aider à aller mieux. Selon Doña María, les champignons lui dirent qu’un « esprit maléfique » était entré dans le corps de son oncle et l’avait possédé. Il faudrait qu’elle lui donne une herbe spéciale, mais pas la même que celles que les autres chamanes et guérisseurs lui avaient donnés. Doña María demanda alors aux champignons où elle pouvait trouver cette herbe et les champignons lui dirent qu’il y avait un endroit dans les montagnes où poussaient de grands arbres et où l’eau du ruisseau était pure. A cet endroit, sur la terre, poussaient les plantes qui guériraient son oncle.

Doña María connaissait l’endroit que lui avaient montré les champignons et couru chercher les herbes depuis la hutte de son oncle. Comme les champignons le lui avaient montré, l’herbe était là. Quand elle fut de retour chez son oncle elle fit bouillir les herbes et en fit boire son oncle. En quelques jours son oncle était guérit, et María sût que cela allait devenir son mode de vie.

En grandissant, Doña María devint pleinement initiée dans son rôle de sabia (une sage). Elle devint vite respectée dans son village comme une sabia honnête et puissante, et pour la communauté, elle était une bénédiction pour ceux qui faisaient appel à ses services. Pendant des dizaines d’années elle pratiqua son art de la guérison, et d’innombrables centaines de malades et de gens souffrants recherchèrent sa magie.

A part ses 3 marriages pendant lesquels elle ne devait s’occuper que de son mari, elle continua ses pratiques sacrées durant toute sa vie.

Appartenant au peuple Mazatèque (parlant le Nahua), María Sabina réalisait ses cérémonies en mazatèque (dans le magazine This Week, Valentina Wasson écrivit que la cérémonie était faite en mixtèque). Comme le pseudonyme d’Eva Mendez que donna R. Gordon Wasson à María Sabina, l’article précédent fut également publié avec l’intention de préserver le secret sur son identité contre ceux qui auraient pu abuser de sa manière de vivre.

Comme beaucoup de chamanes, curanderos, et guérisseurs Mazatèques, María Sabina se référait aux champignons comme à xi-tjo, si-tho ou nti-xi-tjo, voulant dire « objets vénérés qui jaillissent au devant » (nti’ est une particule de profond respect et d’affection, et ‘xti-tjo’ signifie ce qui jaillit au dedans, ce qui surgit). Certains mazatèques disent des champignons: « le petit champignon vient de lui-même, personne ne sait d’où, comme le vent qui vient, on ne sait ni quand ni pourquoi ».

Les champignons sacrés utilisés par María Sabina pendant ses veladas nocturnes (veillées) sont normalement ramassés les soirs de pleine lune, bien qu’ils puissent parfois l’être pendant la journée. Les champignons ramassés sous la lumière lunaire étaient parfois collectés par une jeune vierge. Une fois ramassés ils doivent être amenés dans une église. Là ils sont placés sur l’autel pour être bénis par l’Esprit Saint.

Si la vierge qui les a ramassé tombe sur la carcasse d’un animal mort, un qui est mort sur le chemin qu’elle suit, elle doit alors jeter les champignons, et trouver un autre chemin pour retourner à l’endroit où poussent les champignons. Elle doir alors ramasser de nouveaux champignons frais et trouver une autre piste amenant à l’église, espérant et priant pour ne pas tomber sur un quelconque autre animal mort.

Une fois les champignons consacrés sur l’autel, ils sont prêts à être utilisés.

La velada commence dans l’obscurité totale afin que les visions soient claires et brillantes. Une fois les champignons reconnus et bénis par María Sabina, elle les fait passer doucement un par un à travers les volutes de fumée d’encens Copal. Les champignons sont toujours consommés en paires de deux, significant un mâle et une femelle. Chaque participant consomme entre cinq et six paires, bien que plus puissent être donnés si besoin est. Parce que les énergies spirituelles de la sabia doivent toujours dominer la velada, María Sabina consomme normallement deux fois plus de champignons que ses voyageurs, parfois jusqu’à douzes paires.

Suivant la tradition des chamanes et curanderas Mazatèques, María Sabina commence par mastiquer les champignons, les garde quelque temps dans sa bouche, et les avale alors. Les champignons doivent être consommés l’estomac vide et mangés dans une période de 20 à 30 minutes. Elle décide qui doit les prendre et les énergies spirituelles de la sabia dominent toujours la session. Ces sessions sont généralment conduites la nuit, dans l’obscurité totale afin que les effets visuels des champignons soient pleinement exprimés. Une ou deux bougies peuvent être utilisées mais c’est rarement utile. Pendant que les énergies des champignons se répandent dans les voyageurs spirituels, Doña María chante, tappe des mains et les frappe sur différentes parties de son corps, créant de nombreux sons différents pendant qu’elle invoque d’anciennes incantations.

Les chants rythmés remplissent alors tout l’espace de sa hutte et vont au-delà des murs vers les horizons lointains de l’infinité. Les chants sont utilisés pour invoquer le pouvoir des champignons et varient suivant les différentes maladies ou maux que la guérisseuse devra soigner. Ayant été une Catholique dévote tout sa vie, elle mélangeait souvent d’anciens rituels mazatèques avec des éléments du christiannisme, telle que l’Eucharistie de la religion catholique. Quand les champignons n’étaient pas de saison, María Sabina employait d’autres plantes sacrées avec des rites chrétiens.

Tous les témoignages sur María Sabina attestaient du fait qu’elle était une véritable femme humble et sainte. Wasson lui-même décrivit María Sabina comme une « femme sans tâche, immaculée, une qui n’a jamais déshonorée son appel en utilisant ses pouvoirs pour faire le mal… une femme d’une morale et d’un pouvoir spirituel rares, engagée dans sa vocation, une artiste dans la maîtrise des techniques de sa vocation » (Wasson, 1980).

Dans son village, María Sabina était exaltée comme une sabia (la sage), et était connue de beaucoup comme une « curandera de primera categoria » (guérisseuse de première catégorie) et comme « una señora sin mancha » (une femme sans tâche).

Le Père Antonio Reyes Hernandez est un homme de robe, un homme avec l’amour de Dieu en lui, et le prêtre qui s’occupait de l’eglise Dominicaine à laquelle appartenait María Sabina. En 1970, quand le Père Antonio venait de terminer sa première année en tant que prêtre de Huautla, Alvaro Estrada (1976) lui demanda si les anciens écclésiastiques de la hiérarchie de l’eglise s’opposaient aux rites païens des chamanes et sabias de Oaxaca et du reste du Mexique, comme l’avaient fait leurs prédécesseurs pendant 3 siècles. Le Père Antonio répondit que « l’Eglise n’est pas contre ces rites païens –si on peut les appeler ainsi. Les sages et guérisseurs n’entrent pas en compétition avec notre religion. Ils sont tous des religieux et assistent à nos messes, même María Sabina. Ils ne font aucun prosélitisme; ils ne sont donc pas considérés comme hérétiques, et il est très improbable qu’un anathème quelconque soit jeté contre eux ».

Le Père Antonio ne l’a jamais mise en garde ni ne la condamna jamais pour son travail au village. Il était conscient que ses rituels et ses pratiques lui avaient été léguées du fond des âges par ses ancêtres. Il savait également que ses services étaient des traitement valables pour ceux qui recherchaient ses talents chamaniques.

Le Père Hernandez reconnut toujours son travail avec les malades et les souffrants comme la marque d’un Chrétien véritable — une personne désireuse d’aider les moins chanceux. Bien qu’il sache que Doña María utilisait les champignons et des pratiques païennes pour soigner et guérir, il comprenait en même temps que la nature de María Sabina n’était pas celle d’un esprit démoniaque, ni satanique ou même hérétique. Il appréciait sa spiritualité et donait beaucoup de valeur à son travail en tant que membre ancienne et éminente de son église.

Un prêtre intéressé par l’expérience des effets visionaires des champignons alla voir María en demandant ses services. Mais il fut renvoyé chez lui car ce n’était pas la saison des champignons et il n’y en avait pas de disponibles pour la cérémonie. Le prêtre demanda à María Sabina si elle senseignerait ses talents à ses enfants. Elle lui répondit que ses talents ne pouvaient être enseignés aux autres mais seulement développeés par ceux dont la sagesse avait été atteinte naturellement. Mais pourtant on raconte qu’avant sa mort en 1985, Doña María passa la plus grante partie de ses dernières années à apprendre à d’autres son talent dans la communication avec les champignons.

De la même manière que Doña María croyait au pouvoir du Christ, elle croyait au pouvoir des champignons. Elle se donna elle-même à son église comme aux champignons. Pendant qu’elle travaillait pour l’église, sa messe était dite en latin et ses chants étaient toujours en Mazatèque, et il faut se rappeler que bien que Doña María n’écrivait pas, elle n’était pas illettrée.

Doña María remarqua vite que Wasson et ses amis, étant les premiers étrangers à rechercher « l’enfant saint » (les champignons), n’avaient aucune maladie ou mal-être à soigner. Ils venaient uniquement par curiosité, ou pour trouver Dieu. Avant que Wasson et les autres étrangers ne viennent à Huautla, les champignons avaient toujours été utilisés pour soigner les malades. Doña María entrevit la diminution de ses capacités à assumer ses fonctions.

Elle déclara que plus les étrangers venaient utiliser les champignons pour le plaisir ou « pour trouver Dieu », plus les champignons magiques se retiraient de son esprit. Son énergie, et l’énergie des champignons, étaient en train de s’évanouir progressivement.

Alors que María Sabina sentait que l’affaiblissement de ses pouvoirs et de sa relation avec les champignons était causée par les jeunes étrangers qui recherchaient frivolement et abusaient de la sainteté des champignons sacrés, il faut remarquer que rechercher et trouver son propre dieu peut également être une cure pour beaucoup des problèmes psychologiques, des ennuis et des faiblesses de l’humanité.

L’Arrivée des Etrangers

Au début, les premiers voyageurs qui vinrent à Oaxaca en quête des champignons sacrés étaient polis et aimables avec María Sabina. Ils montraient un respect mutuel pour son personnage. Beaucoup vinrent en apportant des cadeaux et de l’argent pour ses services. Doña María reçut beaucoup de gens (jeunes et vieux) chez elle et réalisa pour eux la cérémonie sacrée de ses ancêtres. Un des plus beaux cadeaux que l’on pouvait lui faire pour ses services était des photographies d’elle et de sa famille. Certains voyageurs lui offraient des cadeaux sans valeur et beaucoup d’autres des cadeaux qu’elle considérait sans valeur. Un touriste lui offrit son gros chien en paiement de son temps mais elle refusa. Elle était trop pauvre pour se permettre de nourir l’animal. Bien que pauvre, María Sabina était spirituellement riche.

Doña María se retrouva deux fois veuve dans sa vie, et une fois un de ses fils fut brutalement assassiné devant ses propres yeux. Elle déclara avoir vu le crime dans une vision avant qu’il n’arrive. Cela supporte l’idée de Wasson que les champignons ont des propriétés télépathiques. En 1984, María Sabina avait rencontré son troisième mari.

Sa maison de 3 pièces à Oaxaca où María Sabina réalisait ses cérémonies était faite de boue avec un toit de chaume et un sol poussiéreux. L’intérieur de sa modeste habitation dont les murs s’écroulaient avec l’âge était pourvu de sols de terre inégaux, presque sans meubles à part un autel des plus simples. Une bougie offrait la seule lumière vu qu’il n’y avait pas d’électricité. A quelques occasions on lui offrit un matelas ou deux mais elle acceptait rarement les cadeaux allant au-delà la valeur de ses besoins quotidiens.

Après que Wasson aie publié des articles sur la redécouverte des pratiques anciennes utilisant de manière rituelle des champignons hallucinogènes à Oaxaca, de nombreux jeunes étrangers des Etats-Unis, du Canada, d’Europe et d’Amérique du Sud, commencèrent leurs longues randonnées et leurs pélerinages penibles vers l’intérieur du Mexique.

Doña María remarqua bientôt que beaucoup d’indigènes et même de mexicains dégradaient ses coutumes en proposant des champignons aux touristes afin de pouvoir nourir leurs familles. Pendant cette période, beaucoup vinrent à la recherche des champignons, et aussi beaucoup ne vinrent que pour être renvoyés.

Vers 1960, María Sabina avait réalisé qu’elle était connue dans le monde entier. Cette nouvelle réputation lui donna beaucoup de peine et l’agonie qu’elle provoqua dans son âme était évidente dans ses yeux et sur son visage. Cela apporta le chaos et la profanation dans son village et sur son travail.

Le manque de respect voire l’irespect total avec lesquels les étrangers traitaient ses « enfants saints » ébranla les fondations mêmes de sa sagesse, de sa force et de sa parole. Comme pour les anciens mystères du « Temple de Dionysos » où le silence sur les rites anciens était la règle d’or, María Sabina déplora qu’avant l’arrivée de Wasson, « personne ne parlait ouvertement des ‘saint enfants’. Aucun mazatèque ne révélait auparavant ce qu’il savait à ce sujet.

Après que Wasson aie fait son premier voyage avec elle, tout le monde semblait la connaître et savoir ce qu’elle faisait. Quand Wasson fut présenté pour la première fois à María Sabina en 1955, c’était uniquement grâce à l’entremise de son ami Cayetano. Elle avait confiance en lui et senti que sa demande de rencontrer l’étranger qui avait voyagé de loin en quête d’une sabia était anodine. Jugeant de leur première rencontre, María Sabina cru que Wasson était un homme honnête et sincère et pensa qu’il respecterait son mode de vie et ne porterai jamais de honte sur son monde. Bien qu’elle aie accepté Wasson chez elle avec beaucoup de précautions quand Cayetano lui demanda, elle accepta par la suite beaucoup de gens chez elle, et elle en refusa également beaucoup.

María Sabina avait donné sa confiance à Wasson et ses amis, particulièrement quand elle les autorisa à l’enregistrer et à la photographier pendant une velada nocturne aux champignons. Elle donna à Wasson et à Alan Richarson, son photographe, la permission de raconter son histoire à d’autres. Doña María espérait que Wasson ne profane par son image ni ne divulgue son identité au monde d’une manière impropre. Parce que Doña María ne lisait ni n’écrivait (sa langue n’a pas de mots écrits), elle ne sût jamais exactement ce que Wasson avait écrit de sa vie.

En 1960, María Sabina avait décidé que « si des étrangers venaient la voir sans recommandation, alors que Wasson en avait une, bien sûr elle leur montrerait quand même sa sagesse.

Pendant l’été de l’amour de 1967, de nombreuse drogues et leur utilisation rampante se répandirent hors du quartier Haight-Ashbury de San Fransisco vers le reste de l’Amérique continentale. De nombreux jeunes hippies et de nombreux étudiants entreprirent le voyage au Mexique à la recherche des champignons magiques dont ils avaient lu quelque chose ou dont ils avaient entendu parler par des amis.

Doña María commenca alors à comprendre l’étendue de sa célébrité quand après des années elle se rappela le pélerinage de « ces jeunes gens aux cheveux longs qui venaient en quête de Dieu » mais à qui il manquait le respect des champignons et qui les profanaient largement. Plus tard María Sabina réalisa que « les jeunes gens aux cheveux longs n’avaient pas besoin d’elle pour manger les petites choses ». elle dit encore que « ces enfants les mangeaient n’importe où n’importe quand et ne respectaient pas nos coutumes ». Doña María ajoutait que « celui qui prend des champignons simplement pour en ressentir les effets peut devenir fou et le rester temporairement, mais juste pour un temps ».

Wasson reconnut les valeurs traditionnelles des motivations religieuses des chamanes et sabias Mazatèques quand il expliquait que « réaliser pour des étrangers est une profanation et qu’aujourd’hui la curandera qui, pour une somme d’argent, conduit le rite des champignons pour n’importe quel étranger est une prostituée et un fakir. Pourtant María Sabina réalisait des rituels pour des étrangers, parfois gratuitement parfois non. A certains moments, elle fut sensée faire payer des services qu’elle offrait auparavant gratuitement.

Un touriste américain prit trop de champignons et disjoncta complètement. Il causa « beaucoup de problèmes » et d’anxiété dans une communauté généralement calme et paisible. Un autre touriste, avec une dinde vivante entre les dents, courru comme un dératé dans les rues de Huautla. Cet incident nécessita l’intervention de la police locale qui l’arrêta avant qu’il puisse se mettre en danger lui-même ou les autres. Cet incident avec quelques autres, conduisit bientôt à l’expulsion de miliers d’aventuriers aux cheveux longs hors du Mexique.

Les actions de ces jeunes gens entrainèrent de nombreux scandales. A cause de l’influence de ces jeunes chercheurs de drogues, les autorités locales commencèrent à interdire l’utilisation des champignons. En 1976, les miliers d’envahisseurs étrangers commencaient à diminuer drastiquement, permettant aux federales de quitter progressivement la zone. Pour les indigènes de Oaxaca, les éléments négatifs avaient finallement disparu et la paix était de retour au village.

Pendant toutes ces années Doña María fut harassée de nombreuses fois par les autorités gouvernementales locales à cause de son utilisation des champignons sacrés avec les intrus étrangers. Plusieurs fois elle fut arrêtée et mise en prison à cause de ses activités et une fois sa maison fut entièrement abattue. Un journaliste qui l’interviewa en 1969 essaya d’intervenir pour l’aider. Il demanda personnellement au gouverneur de Oaxaca de « laisser en paix la chamane la plus célèbre du monde, que l’anthropologie et le désir de fuir la réalité avaient ruinés.

Comme indiqué précédemment, les authorités fédérales, armée et police inclues, commencèrent l’expulsion de centaines de jeunes voyageurs étrangers, qui venaient au Mexique « en quête des champignons et de Dieu ».

Doña María croyait dans la force sacrée des champignons avec le même entousiasme que de nombreuses personnes montrèrent pour « la Force » de George Lucas et Luke Skywalker. Les années passant après la première visite de Wasson à Huautla de Jiménez, Doña María sentait la force des champignons diminuer dans son esprit. Doña María réalisa qu’avec la venue de l’homme blanc, les champignons perdaient deleur sens. Doña María déclara « qu’avant Wasson, je sentais ‘l’enfant saint’ m’élever. Je ne le sens plus comme cela. La force a diminué. Si cayetano n’avait pas amené les étrangers…. ‘l’enfant saint’ aurait probablement gardé ses pouvoirs. A partir du moment où sont arrivés les étrangers, ‘les enfants saints’ ont perdu leur pureté. Ils ont perdu leur force; les étrangers les ont gaspillés. A partir de maintenant ils ne seront plus d’aucune utilité. Il n’y a aucun remède contre cela. »

Cette révélation de la part de María Sabina sonne assurément très vrai. La cueillette des champignons par de banals chercheurs de sensations fortes est bien répandue sur toute la planète. Apolonio Teran, un ancien sabio (homme sage) fut interviewé par Alvaro Estrada. Estrada lui posa la question de la dé-sanctification des champignons par leur cueillette, se demandant si les champignons étaient toujours considérés comme une source de médecine sacrée et puissante.

Apolonio déclara que « le champignon divin ne nous appartient plus aux indiens de mésoamérique. Son langage sacré a été profané. Le language a été souillé et il est indéchiffrable pour nous…. Maintenant les champignons parlent NQUI LE Anglais. Oui, c’est la langue que parlent les étrangers…. Les champignons ont un esprit divin. Ils l’avaient toujours eu pour nous, mais les étrangers sont arrivés et lui ont fait peur… » Plus tard, Wasson (1980) s’accorda sur le fait que « depuis que l’homme blanc est venu chercher les champignons, ils ont perdu leur magie. » Cela pourrait signifier que la magie est définitivement partie pour les chamanes et les indigènes qui vénéraient les champignons. Wasson pensait que María Sabina disait la vérité. Abondant dans le sens de sa sagesse, Wasson dit que « une pratique poursuivie en secret pendant 3 siècles ou plus vient d’être éventée et cette aération porte sa fin ».

Avant sa mort en Décembre 1989, Wasson pensait qu’il était seul responsable et coupable pour ce qui doit assurément être appelé la fin triste et tragique d’une culture, dont les traditions et les usages comprenaient l’utilisation sacrée de Teonanácatl et se sont développés et entretenus pendant presque 3 millénaires. Il semble aujourd’hui que l’utilisation de champignons parmi les peuples indigènes de Mésoamérique soit dans son stade final d’extinction. Bientôt l’utilisation culturelle des champignons et d’autres plantes sacrées pourrait disparaître de la surface de la terre.

L’approche éloquente de Wasson pour présenter le monde de María Sabina au public est sans aucun doute irréprochable. Il présenta l’histoire unique de María Sabina et de ses champignons sacrés. Ses écrits nous ont emmenés là où aucun homme n’était encore jamais allé et il a offert au monde son histoire comme personne ne l’aurait fait. Wasson amena María Sabina et son monde sous la vision de l’oeil public. Il parla de ses chants, de sa manière de vivre, de son raisonnement, et de sa magie avec les membres de son village, tous ceux qui la visitaient recherchant ses conseils et sa divination. Wasson rendit compte de ses vertues avec le plus grand des respects et le plus fin des regards, et ce qu’il coucha sur le papier ne fut rien d’autre que la vérité qu’elle lui révélait telle que lui la voyait et l’entendait.

Wasson savait que María Sabina était nécessaire à l’équilibre naturel de sa communauté. Il avait pour cette femme et son travail une révérence extrême et profonde. En même temps il montrait certains aspects de sa spiritualité sans porter la honte sur son héritage. Il la présenta au monde avec l’intégrité enchanterresse que portaient ses écrits. Les découvertes de Wasson en Mésoamérique et ses interprétations intégrales sont ce que María Sabina aurait écrit et décrit si elle avait pu.

A cause de l’intrusion de Wasson dans sa vie et des myriades d’autres qui suivirent, une partie du monde et du mode de vie de María Sabina furent enlevés. Pour autant, les vastes trésors de connaissance ethnomycologique que Wasson sorti de son monde ne devinrent publics que parce qu’elle les partagea avec des étrangers. Cette connaissance va désormais rester comme un morceau de l’histoire, parce qu’il a été enregistré par un homme honorable qui se souciait de ce qu’il observait et vivait, et qui l’écrivait.

María Sabina était de nombreuses choses : une femme de la terre, une mère, une sabia, une poète, une aide, une croyante, une femme déterminée, et une curandera qui se tenait sur la frontière même de son univers et entrevoyait les secrets et le sens de la vie. Doña María a partagé ses secrets de la connaissance et de la magie des plantes avec le monde extérieur. Seulement grâce à l’espoir et à la prière, la bonne volonté qu’elle a offert au monde sera complètement comprise et appréciée. A travers la persistance et la détermination de R. Gordon Wasson à suivre son rêve de la piste des champignons sacrés, Doña María a véritablement présenté à l’humanité une clé magique, les champignons, touchant à quelques réponses plausibles à certains des mystères de nos débuts religieux, et peut-être de l’origine de notre terre.

Doña María est peut-être partie, mais son esprit et sa sagesse restent. Tendez la main et attrapez cette sagesse qu’elle était si désireuse de partager. Prenez-la avec délicatesse et partagez-la avec amour et respect. Pouvez-vous voir son visage dans le noir ? Entendez-vous ses chants?

Amitiés

Claude Sarfati

« QUE RESTE-T-IL DES HUICHOLS ? » (4)

La vie des Huichols est désormais menacée par la mondialisation économique et leur acculturation possible

. Depuis 2009 le gouvernement mexicain a accordé 6000hectares aux entreprises minières canadiennes pour exploiter des mines d’argent. C’est une menace directe sur les ressources naturelles (nappes phréatiques) et culturelles ,le site de Wirituka n’étant qu’à quelques kilomètres. Surtout les indiens, comme les inuit ou les aborigènes australiens entretiennent une relation sacrée avec la terre et les éléments naturels. L’exploitation minière serait donc pour eux un sacrilège et une atteinte à leur identité spirituelle.

 

Dans Le Point du 20/01/2012, JMG  LE CLEZIO Prix Nobel de littérature, (dont il faut lire le Rêve Mexicain) a lancé l’appel suivant à la communauté internationale :

« L’Histoire bégaie, on le sait. Parfois, il y a tellement d’insupportable dans ce bégaiement qu’on ne peut l’accepter. Le génocide amérindien fut organisé pour une grande part à cause de la convoitise des conquérants pour l’or et l’argent, chose tellement incompréhensible pour les habitants du Nouveau Monde que certains (les Purepecha du Michoacan) se posèrent même la question : « Assurément, ces hommes doivent se nourrir de ces métaux pour les désirer à tel point. » Pour eux, ces métaux étaient « l’excrément du Soleil et de la Lune » et ne servaient qu’aux objets de culte.

Depuis 2009, la compagnie minière canadienne First Majestic Silver, spécialisée dans la prospection des métaux précieux, a pu racheter 22 concessions à l’ouest de l’Etat de San Luis Potosi, dans le nord du Mexique, dans une montagne nommée Cerro Quemado, près de la station de chemin de fer Real de Catorce. Cette montagne est depuis toujours le lieu mythique pour les Indiens Wixaritari – plus connus du grand public sous le nom de Huichols – où ils s’approvisionnent en peyotl pour leurs cérémonies de divination thérapeutique et leurs rituels liés au culte du Soleil.

 L’Histoire ici bégaie outrageusement : au XVIIIe siècle, les Huichols furent au centre d’une révolte contre le pouvoir colonial espagnol, car leur territoire était envahi par les prospecteurs – comme dans le cas de la ruée vers l’ouest, des aventuriers et des hommes de main de toutes origines, attirés par la perspective de riches filons. A la fin du XIXe siècle, un métis du nom de Manuel Lozada organisa une autre révolte pour défendre l’autonomie des peuples habitant l’Etat du Nayarit – Coras et Huichols -, et sa défaite sonna le glas de la relative liberté que les Indiens avaient acquise sur leur territoire. Fragilisée par les divisions, la population autochtone figure aujourd’hui parmi les ultimes résistants de l’indianité dans un monde de plus en plus conformiste et matérialiste.

Le projet de la First Majestic Silver n’arrive pas par hasard. La crise économique mondiale a donné un regain de popularité à la valeur refuge que constituent les métaux précieux. Mais la prospection et l’exploitation des anciens filons ne peuvent se faire actuellement que dans des conditions d’extrême agressivité : recherche en profondeur, éventration à la dynamite, utilisation de polluants (mercure et cyanure), rejets de boue contaminée qui mettent en danger la nappe aquifère. Partout dans le monde de tels projets sont combattus par les associations de protection de l’environnement – comme cela fut le cas récemment en France avec le projet minier de Salsigne (Aude), stoppé par les militants.

Cause juste. Que restera-t-il de la montagne sacrée des Huichols après de tels outrages ? Même si éventuellement le filon est abandonné faute de rentabilité (ou parce que le cours des métaux sera retombé), le mal sera irrémédiable. La montagne où les Indiens se rendaient chaque année au bout d’une longue marche pleine de souffrance et de mysticisme sera devenue un lieu dévasté, fracturé, violenté.

Certes, l’on peut regarder tout cela comme l’énième épisode de la défaite du monde amérindien traditionnel et penser que, après le génocide perpétré au XVIe siècle par les conquérants, ce drame est le dernier souffle qui éparpille dans l’oubli des peuples déjà devenus fantômes. Ce doit être, j’imagine, la réponse des ingénieurs et des dirigeants de la First Majestic Silver. Il y a quelques décennies, les compagnies qui éventrèrent le territoire des Indiens Navajos, au sud des Etats-Unis, ironisaient sur cette manie qu’ont les Indiens de considérer que le monde entier serait « terre sacrée ».

Mais la question n’est pas, qu’on y réfléchisse, seulement celle des Huichols et du Cerro Quemado. Il ne s’agit pas d’affirmer un privilège exotique en vue de maintenir une poignée d’hommes dans leur droit, contre l’abus d’une compagnie minière nord-américaine – même si, de toute évidence, la beauté, la pensée et la justice sont de leur côté. La question est de mettre un frein, chaque fois que cela est possible, à la rapacité des puissants exercée contre ce qu’il y a de précieux et d’unique – l’héritage, le respect, l’équilibre du monde -, mieux que des symboles, la substance vivante de notre commune humanité. Nous devons tous soutenir la juste cause des Huichols et demander au gouvernement mexicain d’annuler l’autorisation d’exploiter le Cerro Quemado accordée hâtivement à la First Majestic Silver. »

QUELQUES LIENS:

http://arutam.free.fr/Huichol.html.

http://aufildm.free.fr/index.html.

http://www.lebatondeparole.com/pages/general/histoire/les-huichols-d-amerique-du-sud.html

http://huichols.fr/

Source: REGARD ELOIGNE

Amitiés

Claude Sarfati

« QUE RESTE-T-IL DES HUICHOLS ? » (3)

« Pour moi le seul lieu du monde où dorment les forces naturelles qui peuvent être utiles aux vivants Je crois à la réalité magique de ces forces, comme on peut croire au pouvoir curatif et salutaire de certaines eaux thermales. Je crois que les rites indiens sont les manifestations directes de ces forces. Je ne veux les étudier ni en tant qu’archéologue ni en tant qu’artiste, mais comme un sage, au vrai sens du mot; et j’essaierai de me laisser pénétrer en toute conscience de leurs vertus curatives, pour le bien de mon âme. »Antonin Artaud Lettre Au Gouverneur Du Mexique 1936.

« Après des fatigues si cruelles, je le répète, qu’il ne m’est plus possible de croire que je n’aie pas été réellement ensorcelé, que ces barrières de désagrégation et de cataclysmes, que j’avais senti monter en moi, n’aient pas été le résultat d’une préméditation intelligente et concertée, j’avais atteint l’un des derniers points du monde où la danse de guérison par le Peyotl existe encore, celui, en tout cas, où elle a été inventée. »A.ARTAUD

« La danse du Peyotl est avant tout, pour Artaud, un moyen de ne plus être « Blanc » : c’est-à-dire « celui qu’ont abandonné les esprits ». Le rite du peyotl est l’expression même de la « Race Rouge », de la plus antique possession par les dieux. Mais pour Artaud, c’est aussi la révélation d’une poésie à l’état pur ; d’une création en dehors du langage : création des gestes et des rythmes de la danse ; création pure, pareille, dit-il, à une « ébullition ». Artaud pense alors trouver un art pur, dégagé de toutes les conventions sociales ; un théâtre à l’état originel. C’est ce qu’on sent notamment dans l’étrange texte-poème qu’Artaud a intitulé Tutuguri, d’après le nom de la danse de la chouette. Il s’agit d’un rêve sur la danse des Tarahumaras, hanté par l’image des croix de bois que les six hommes purs tiennent embrassées, comme pour les épouser. Image du feu initial qui sort du cercle des croix, pendant que le soleil a pris rang. « II a pris forme au milieu du système céleste. Il s’est placé tout d’un coup comme au centre d’un formidable éclatement. » Le battement des tambours et le bruit des sipirakas rythment le pas des hommes et le danseur, le corps taillé d’une balafre de sang, entre en extase ».JMG LE CLEZIO ANTONIN ARTAUD OU LE REVE MEXICAIN.

Le romancier IVAN ALECHINE a consacré un roman aux Huichols loin de toute nostalgie exotique : Pour le narrateur, Iman, poésie et environnement sont liés : si la terre se meurt, l’inspiration meurt aussi. Or, la terre se couvre de parkings, de routes, de béton. Il va donc chercher chez les Huichols, au cœur du Mexique, le renouvellement de ses sources. Ayant lu les livres de Carlos Castaneda, il se lance à la recherche de Don Juan Matus, « l’Indien solitaire ». Mais la réalité qu’il découvre est tout autre : les Indiens sont de pauvres gens que l’on pille, des barrages inondent leur terre, la déforestation avance et leur pensée, comme celle du héros, est menacée. C’est sans doute parce qu’il a perdu ses propres repères qu’Iman se sent si proche d’eux. Devant le désastre, la volonté de lutter s’affirme pourtant :

« Que reste-t-il des Huichols, ces indiens cousins des Aztèques ? Iman part au Mexique muni de quelques repères, d’idées générales à la recherche de  » la magie indienne, des pouvoirs paranormaux, d’illuminations exceptionnelles « . Iman part en fait sur les traces de Don Juan Matus, l’Indien solitaire de Carlos Castaneda. Sa quête d’une poésie indienne va se heurter aux murailles de la modernité. Un premier voyage le laisse bredouille. Bourré de peyotl, il viole le mont Leonax que les Huichols gravissaient pour rendre hommage au soleil levant. Et il redescend, hagard dans Real,  » Jérusalem blanche au milieu du chaos des montagnes « , une ville à l’abandon depuis la fermeture des mines d’argent. Les Huichol se dérobent, Iman persiste, à la recherche de sources sauvages d’inspiration. Castaneda le hante jusqu’à sa rencontre avec Randall, l’ex-beat américain qui lui sert de guide. Randall se méfie de ce touriste poète –  » No Art !  » – qu’il dépucelle illico sur ces Huichols sauvages : les enfants meurent sans être vaccinés, les propriétaires volent les terres, l’État construit routes et barrages qui strient le territoire des Huichols. Des poètes ? Mais les Huichols n’en ont pas besoin ! Eux-mêmes ne sont pas poètes.  » Ils sont tout sauf poètes ! Ils mènent une existence harassante, enchaînés à leur terre, et connaissent des difficultés insensées pour survivre. Il n’est pas drôle d’être un Huichol, un Huichol pour la vie, une sorte d’étranger dans son propre pays !  » Randall pourtant emmène Iman au pays des Huichols, un territoire de trois cents kilomètres jusqu’à la côte Pacifique. Ils participeront au pèlerinage du Voyage des morts. Iman découvre un peu de la vie des Huichol, fondée sur le mouvement comme leur religion l’est sur la nature :  » Une montagne, une source, une rivière, une forêt, un amas de granit ou une grotte sont des dieux. Ainsi, quand on détruit un endroit à la dynamite, c’est une divinité qu’on élimine de la surface de la terre.  » Et la route, c’est le début de la fin des Huichols. Cinq cents ans après Cortés, la guerre continue par les mots, par la rhétorique afin de faire croire à la modernité et de  » figer tout ce qui bouge, bétonner l’eau, pétrifier le vent, solidifier tout ce qui est volatil, construire des autoroutes, telle est l’idéologie espagnole : une bonne nature est une nature morte « . Et si le peuple Huichol a pu survivre, c’est uniquement dû à sa faculté de rompre et de s’échapper :  » Peu fiables, lâches, ils ont gardé leur autonomie…  » Le voyage ne sera pas vain, et Iman puisera une poésie de la vie derrière les cuirasses de la survie. Et comble du touriste, il promet de revenir aider Randall pour un reportage photographique. Il devient cette fois poète témoin ».

Les Voleurs de pauvres, Ivan Alechine, Éditions de la Différence,

Source: REGARD ELOIGNE

Amitiés

Claude Sarfati